La démocratie n'a jamais eu la vie facile. Il n'est d'ailleurs pas mauvais que les utopies de son type, toujours tentées par l'idéalisme, soient soumises au choc du réel. La démocratie vit pourtant des heures de douloureuse ambiguïté. Au nom du pragmatisme, certains l'accusent de ne pas répondre aux besoins du présent : elle planerait trop haut pour servir de guide aux humains d'aujourd'hui. Au nom de la liberté de parole, d'autres, démagogues déguisés en porte-parole des gens sans voix, se revendiquent de la démocratie pour entretenir la peur de l'Autre, le règne de l'épidermique, la confusion entre l'information et le spectacle, l'écrasement de la liberté par le délire sécuritaire. Les défis lancés aux démocrates québécois sont d'autant plus abrupts qu'un fossé sépare les volontés du peuple des résultats électoraux, que s'érodent ou muent les institutions, que le démarchage s'interpose entre les citoyens et leurs élus, que la presse sert de courroie de transmission plutôt que de chien de garde, que la justice se prostitue en pactisant le secret et en contournant la présomption d'innocence.
Pas question pourtant de ranger la démocratie parmi les fossiles victimes d'inadaptation. Au courage qu'elle a toujours requis, elle joint par les temps qui courent une exigence de plus : la lucidité. Lucidité qui distingue le caprice ou la concession polie de l'accommodement raisonnable, qui lève les visières pour démasquer la démagogie, qui localise les intérêts derrière les plaidoyers censément désintéressés, qui s'interroge sur les conséquences de la présente frénésie de sondages. Cette clairvoyance place fermement au centre de sa mire ceux qui anémient la démocratie en faisant bouillir les préjugés et en rentabilisant la peur.