Quand il débarque à Paris en 1941 pour rejoindre les surréalistes, Christian Dotremont n'a que dix-neuf ans. Il n'est pas encore le peintre célèbre pour ses logogrammes, créateur de la revue Strates et fondateur du mouvement Cobra dont l'in?uence ira au-delà de toutes les frontières, mais il porte en lui la création.
Il y rencontre la poétesse Régine Raufast : de cette liaison de près de deux ans germe une correspondance rare et sulfureuse. Les lettres à sa première muse sont ici réunies : sous le vernis de l'adolescent amoureux gronde l'orage poétique et théorique du jeune artiste. Ce «grand feu noir» illumine son âme et, dans l'éloge romantique, brûle en poèmes, ré?exions et traits d'esprit. C'est dans cette mystérieuse effervescence que se trace les prémices de l'oeuvre que l'on sait désormais fondamentale.
La correspondance est suivie de La reine des murs écrit en 1942 dont les lithographies de Pierre Alechinsky (que nous reproduisons) accompagneront la publication vingt ans plus tard.
Acteur et témoin de plusieurs mouvements expérimentaux d'après-guerre, dont ceux du surréalisme-révolutionnaire et de Cobra, historien des arts impliqué dans l'histoire qu'il raconte, théoricien emporté cependant à l'écart de la théorie par sa fidélité à la confusion des sensations immédiates, telles sont les facettes de Christian Dotremont que révèlent ses nombreux écrits sur l'art, la littérature et le cinéma. À leur lecture, c'est d'abord comme si on déroulait plusieurs fils de noms, qui retracent certaines constellations artistiques et intellectuelles majeures de son époque, dans ce qu'elles eurent de tumultueux et de vivant. On croise ainsi, évoquées à travers leurs oeuvres comme à travers leur existence quotidienne, de grandes figures du milieu artistique belge, tels René Magritte et son «?anti-peinture?» traversée d'humour et de poésie, ou Raoul Ubac et la «?forêt de formes?» de ses photographies, mais aussi du surréalisme parisien, tels Paul Éluard accomplissant sa «?grande tâche lumineuse?» dans la nuit de 1940, Nush Éluard servant du porto rue de la Chapelle, ou Pablo Picasso dans son atelier rue des Grands-Augustins, occupé à faire du café et à dessiner sur des pages de vieux journaux, en ces temps de pénurie de papier. On croise également des personnages plus inattendus, comme Gaston Bachelard, lecteur des Chants de Maldoror, Jean Cocteau, «?délégué de l'autre monde?», ou Jean-Paul Sartre, travaillant frénétiquement à sa table du Dôme, et s'interrompant pour lire avec bienveillance les poèmes que lui soumet jeune Christian Dotremont. Mais celles et ceux dont il esquisse les portraits les plus denses, ce sont les artistes de Cobra, qui de 1948 à 1951 fut «?une somme de voyages, de trains, de gares, de campements dans des ateliers?», une manière de travailler en «?kolkhozes volants?», entre Copenhague, Bruxelles et Amsterdam. Entre autres, sont évoqués avec une finesse critique particulière Asger Jorn, qui avec ses toiles «?sème des forêts?» à l'écart des dogmes, Pierre Alechinsky, dont la peinture est «?comme un coquillage où s'entend l'orage?», Egill Jacobsen, inventant des «?masques criants de vérité chantée?», Erik Thommesen, dont les sculptures sont «?un grand mystère trop émouvant pour être expliqué?», ou Sonja Ferlov, qui réconcilie « la pierre et l'air »... Dans les textes qu'il consacre à ses amis et amies artistes, on retrouve la musique et les images obsédantes qui travaillent aussi sa poésie, telle l'image de la forêt, pour dire chaque fois les surgissements de la trame illisible du monde qui le fascinent. Artiste révolutionnaire, déçu pourtant par l'étroitesse des conceptions esthétiques communistes, il se fait théoricien d'un art du non-savoir, contre la propension à ordonner et à policer du «?réalisme-socialiste?». Il s'agit avant tout pour lui de ne pas trahir «?toutes ces confuses sensations que nous apportons nuit et jour?». Cela, seule une écriture affirmant sa dimension graphique le peut vraiment. Lignes discursives et lignes expressives doivent être pensées et tracées ensemble, comme en attestent ses logogrammes ou les «?peintures-écritures?» de Cobra. À ses yeux, l'écrivain est un artiste, voire un artisan?; les gestes de sa main sont ce qui compte avant tout. Ses écrits sur l'art manifestent sa volonté de réconcilier la dimension intellectuelle et la dimension matérielle de l'écriture, le verbe et l'image, de même, dit-il, que sont réconciliés la création et l'interprétation dans le jazz. Ainsi l'écrivain doit-il être, selon ses termes, «?spontané » et « sauvage?».
Cette édition rassemble sept ensembles de poèmes de Christian Dotremont, d'Ancienne éternité, texte éblouissant écrit en 1940 à seulement 17 ans et qui le fera intégrer immédiatement les groupes surréalistes belges puis français, jusqu'à Les trois forêts, écrit au sanatorium d'Eupen en 1953 où il soignait sa tuberculose. Ces poèmes, la plupart écrit sous la forme « dialogique » si particulière à Dotremont, dans laquelle questions et réponses se confondent, filent dans une oralité joyeuse, où l'évocation féminine est une amulette et l'amour une magie. Prestidigitateur du langage, Dotremont suit à la fois une silhouette qui s'échappe et le fil de ses pensées, par-delà les villages, par delà les forêts bavardes, au coin d'une rue floue : réinvoquant d'une main ce qui a disparu sous l'autre, échafaudant sur un fil des associations d'idées fulgurantes, sans jamais tomber. Des hommes brisés qui se recollent, des vêtements empruntés au bonheur, des enfances attachées aux réverbères, des rafales de vies, des fleurs de cimetière ; un ensemble de mots de passe pour ouvrir le présent, de combinaisons pour ouvrir le coffre des choses perdues. Christian Dotremont prend la « mort légère et tiède » dans sa main, et lui raconte des histoires, des histoires infinies à la poursuite du bonheur, dresse entre elle et lui des illusions de poèmes, des jeux aériens, des incendies sous la neige. Il détourne son attention au fil de dialogues où il parle à son ombre, répond à ses propres questions, change de masque entre rire et grimace, comme les grands magiciens savent détourner notre regard vers l'invisible, avant de « s'écrouler sous les applaudissements de la vie ».
«J'avais dormi à l'hôtel du Chemin de Fer. J'avais fait ce que j'avais pu, j'avais couru et marché, j'avais dormi, j'avais écrit et lu, j'avais eu des contacts avec les femmes, l'histoire, j'avais même été communiste, l'art, la culture. Tout ça pour en arriver à se coucher. [...] Je comprenais ainsi pourquoi elle s'était finalement attachée à moi : parce que je lui offrais et l'aventure et l'organisation, et l'instabilité et la stabilité, la stabilité du mari et l'instabilité de l'amour, l'oreiller et la pierre.»
Du surréalisme sous l'occupation allemande à l'aventure expérimentale de Cobra initiée en 1948, Christian Dotremont a traversé son temps en poète qui s'émerveille et s'inquiète à chaque fois du mystère consistant à « aller et venir ainsi dans la réalité ». Ses incessantes allées et venues, dont témoignel'anthologie Ancienne éternité qu'il avait ébauchée sans pouvoir l'achever, le menèrent de Tervuren en Belgique, où il est né, à Zandvoort et à Bruxelles, à Paris et à Copenhague, jusqu'aux confins de la Finlande, dans les villages reculés d'Inari, d'Ivalo, de Sevettijärvi.
Christian Dotremont est mort en 1979. Né en 1922 en Belgique, il fut avec Asger Jorn et Karel Appel l'un des fondateurs du groupe d'artistes COBRA. Il se rendit célèbre comme créateur des fameux « logogrammes », textes dessinés « dans une intime interaction spontanée de l'imagination verbale et du bouleversement graphique de l'alphabet ». Pierre Alechinsky, qui fut son ami et un participant du groupe COBRA, a écrit un important portrait inédit de cet artiste inclassable, fécond et totalement original.
Outre un choix de ses oeuvres, l'ouvrage propose des documents introuvables, et notamment les bouleversantes photographies prises par Alechinsky de Christian Dotremont, dans la pension de vieillards où ce dernier s'enferma volontairement les dix dernières années de sa vie. « J'écris pour voir » s'inscrit dans la collection des Cahiers dessinés comme une première approche des rapports complexes entre l'écriture et le dessin. Ce livre sera présenté dans plusieurs musées, en Belgique, en France, en Suisse et au Québec où il servira de catalogue officiel. Les oeuvres poétiques complètes de Christian Dotremont ont été publiées en 1998 au Mercure de France, préfacées par Yves Bonnefoy.
Bruxelles, mars 1949 : dans les combles du Palais des Beaux-Arts " où pas un chat ne vient ", Pierre Alechinsky, 21 ans, rencontre Christian Dotremont qui assure le " gardiennage " de la première exposition CoBrA. Le groupe existe depuis quelques mois : soudaine et formidable ouverture pour le jeune artiste, et le début d'une féconde amitié de trente ans. Dotremont (1922-1979) est l'inventeur de l'acronyme (Copenhague-Bruxelles-Amsterdam), le coordonnateur et la plume de CoBrA, avant, pendant (1948-1951) et après. Outre un roman, La Pierre et l'Oreiller (Gallimard), oeuvres poétiques complètes (Le Mercure de France), les textes critiques et bien sûr ses " peintures-mots " et logogrammes, il écrit, de 1953 à 1978, dix textes sur le travail d'Alechinsky : ses peintures, dessins, son film Calligraphie japonaise, ses expériences à deux pinceaux avec Walasse Ting, Karel Appel, etc. Ces textes sont réunis ici pour la première fois, y compris un important inédit de 1957. On y retrouve à chaque page le culot, l'acuité, le sens du contre-pied, la justesse d'observation, la feinte désinvolture, le phrasé qui font la force intacte de la prose de Dotremont.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Il est bien de notre époque - mais il s'insurgera finalement contre toutes ses décadences - ce Charles Segré, fils de famille ruiné, orphelin, patriote, résistant, désemparé plus tard dans le « carnaval » et les réceptions de l'après-guerre. D'abord il essaiera de s'étourdir dans de nombreuses aventures. Mais, la virilité venue, c'est dans les passions profondes du corps, de l'esprit et du coeur que se jouera son véritable drame. Un jour, obligé de choisir entre deux femmes l'une et l'autre admirables, il sera mené jusqu'aux problèmes fondamentaux de l'unité intérieure et de l'honnêteté de l'esprit. A ce moment, il se trouvera devant toute une révolution à faire en lui-même, à promouvoir au dehors. A quoi bon résumer L'AMOUR DÉRAISONNABLE ? Si passionnante qu'elle soit, l'intrigue d'un tel ouvrage ne peut rendre compte de son importance, de sa profondeur, de sa signification véritable, de son étonnante beauté littéraire.
Thé et café donnent de l'esprit à ceux qui en ont et des insomnies à ceux qui n'en ont pas.
Verlet
Par le thé, l'Orient pénètre dans les salons bourgeois ;
par le café, il pénètre dans les cerveaux.
Paul Morand