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Littérature
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« - Vu l'ancienneté des faits, il sera sans doute compliqué de les faire établir, et vraisemblablement, votre père ne sera pas condamné...
- Alors, il y a des faits plus récents, qui ont eu lieu à Nancy, à Nice, à Paris et à Tende, il y a deux ans. Ce serait peut-être plus facile...
- Certainement.
- Mais j'étais majeure.
- Ça reste des viols par ascendant, madame. Et qui ont eu un commencement d'exécution quand vous étiez mineure. Moi, je vais le faire convoquer dans un commissariat de Strasbourg. Il aura une grosse frayeur. Il sera difficile d'apporter les preuves. Il y aura sans doute un non-lieu...»
Prix Médicis 2021. -
« Faut se calmer, essayer d'être ce qu'on est c'est-à-dire pas grand-chose. Mettre tout ça à peu près en ordre, déjà, déjà ce serait pas mal. Tout sera dans le bon ordre à partir de là, et dans le bonheur peut-être un jour. Et puis je vais essayer d'être polie. Précise, logique et claire pour une fois. »
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« Fais bien attention à ton corps et à ta santé Christine. Ne crois personne, jamais, même si on te dit "je n'ai jamais..., j'ai toujours...". Et puis j'espère que tu sais que les maladies sont transmissibles non seulement lors de l'éjaculation mais aussi par la simple pénétration. Pardon d'être aussi cru, mais je voulais te dire ça depuis longtemps. Bon, je vais essayer de me rendormir un peu.
Je voulais te dire aussi : je ne peux plus te lire. Je n'en peux plus du sujet Angot. C'est devenu une souffrance. »
Édition entièrement remaniée par l'autrice. -
« Je traversais la rue... Vincent passait sur le trottoir d'en face. Je me suis arrêtée au milieu du carrefour. J'étais là, figée. Le coeur battant. Je regardais son dos qui s'éloignait. Torse large, hanches étroites, il avait une stature impressionnante. J'aurais pu courir, le rattraper. Il a tourné au coin de la rue. Je suis restée debout, les jambes coupées. Les yeux fixés sur la direction qu'il avait prise. Je tremblais. Je n'arrivais plus à respirer. J'ai pris mon téléphone dans mon sac, j'ai appelé une amie. »
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Christine Angot a écrit ce court roman comme on prend une photo, sans respirer, sans prendre le temps de souffler. En cherchant la précision, en captant l'instant et le mouvement.
Ce n'est pas à nous lecteurs de vouloir en connaître l'élément déclencheur, peu importe de le savoir.
On s'aperçoit vite en le lisant que le texte possède en lui-même le pouvoir d'agir avec violence. Il suscite des sentiments dont l'angoisse ne peut être évacuée. Il provoque le saisissement par lequel on reconnaît un des pouvoirs de la littérature : donner aux mots toute leur puissance explicative et figurative, plutôt que de s'en servir pour recouvrir et voiler.
C'est comme si l'écrivain levait ce voile, non pas pour nous faire peur, mais pour que l'on voie et comprenne. -
Ils se rencontrent à Paris. L'histoire s'installe par paliers, mais assez simplement. Ils finissent par prendre un appartement dans le quinzième, où ils vivent, avec les enfants qui arrivent à un rythme régulier. Rien que de très ordinaire, classique, courant. Mais que se passe-t-il à l'intérieur de ces quatre murs ? Quels détails du ménage, du partage du lit, de l'éducation des enfants et de toute l'organisation matérielle vont mettre en péril progressivement l'équilibre ? Comment se reconstituent dans un intérieur les luttes sociales, raciales, sexuelles ? Vont-ils s'en libérer ? Quel rôle joue l'argent ? À quel moment les murs deviennent-ils des passoires de toutes les maladies sociales ? Ont-ils jamais protégé de quoi que ce soit ? Faut-il renoncer ? Qui va gagner ? Lui ? Elle ? Et que va-t-il arriver aux petits, qui les réunissent et les divisent ?
L'hostilité croissante entre un homme et une femme, la violence quotidienne entre un père et une mère, les manipulations et déchirements qu'éveillent les enfants : la narratrice restitue ces scènes, tantôt de manière tendre, tantôt implacable. L'écriture s'impose ici avec une émotion contenue et une clairvoyance coupante.
Dans un roman réaliste, quasi naturaliste, Christine Angot met en scène le côté sombre de la puissance féminine, elle en fait une donnée essentielle autour de laquelle tous les autres personnages auront à se définir. -
Ce sont des hommes, des femmes, ils sont jeunes, vieux, ou entre deux âges, riches, puissants, pauvres, ou ni l'un ni l'autre, Christine Angot les passe, en radiologue du genre humain, à son laser, croisant leurs similitudes et leurs différences, perçant à jour leurs caractères, leurs solitudes, leurs émotions. Avec "Le Parisien d'adoption", "La retraitée du textile", "Le grand dépressif" ou "Le client des grands hôtels", par exemple, ce sont autant de portraits d'une société française contemporaine qui se répondent, s'opposent, font miroir, suivant un travail de narration novateur.
La petite foule est une oeuvre captivante, on se l'approprie, on se prend d'affection pour certains, on se moque de certains autres, car la plume de Christine Angot, toujours aussi libre, reflète de façon caustique, aimante ou amusée, mais précise et implacable, notre petit monde personnel. -
"J'ai donné la vie. Ça m'a tuée. J'en avais une seule. Je n'écris plus. Depuis aujourd'hui. Ça, ça ne s'appelle pas écrire, ça s'appelle marquer. Je marquerai chaque jour quelque chose sur elle, au moins une ligne. Il n'y a qu'elle. Que ça. Que ça. Qui m'a tuée."
Une jeune mère relate, sous la forme d'un journal, et comme en temps réel, l'arrivée au monde de son enfant. La petite fille a huit mois, le quotidien nous est livré, mais il est marqué par la force paradoxale des sentiments qui l'assaillent : l'amour inconditionnel qu'éprouve la jeune femme efface-t-il la complexité ? Et quels sont les enjeux de cette nouvelle passion entre la jeune mère et la toute petite fille ? -
Quand on est seule, vraiment seule, et vraiment perdue, vidée et épuisée, prête à renoncer à tout, même au plus important - c'est-à-dire à l'amour -, les gens, les autres, l'entourage, les amis, les ennemis, sont tous prêts à vous rassurer. Ils vous demandent gentiment d'y croire encore, de ne pas abandonner. À ce moment-là, si la personne tant espérée, tant attendue, arrive enfin, sera-t-on capable de la reconnaître et d'être reconnue ?
Christine Angot décrit la peur de s'engager et la difficulté de communiquer, les thèmes essentiels de son oeuvre prennent dans cette histoire d'élan et de rejet amoureux une intensité et un relief inédits. -
"- Les gens veulent l'amour conjugal, Rachel, parce qu'il leur apporte un bien-être, une certaine paix. C'est un amour prévisible puisqu'ils l'attendent, qu'ils l'attendent pour des raisons précises. Un peu ennuyeux, comme tout ce qui est prévisible. La passion amoureuse, elle, est liée au surgissement. Elle brouille l'ordre, elle surprend. Il y a une troisième catégorie. Moins connue, que j'appellerai... la rencontre inévitable. - Pour toi, notre rencontre, elle appartient à quelle catégorie ?"
Pierre et Rachel vivent une liaison courte mais intense à Châteauroux à la fin des années 1950. Pierre, érudit, issu d'une famille bourgeoise, fascine Rachel, employée à la Sécurité sociale. Il refuse de l'épouser, mais ils font un enfant. L'amour maternel devient pour Rachel et Christine le socle d'une vie heureuse. Pierre voit sa fille épisodiquement. Des années plus tard, Rachel apprend qu'il la viole. Le choc est immense. Un sentiment de culpabilité s'immisce progressivement entre la mère et la fille.
Christine Angot entreprend ici de mettre à nu une relation des plus complexes, entre amour inconditionnel pour la mère et ressentiment, dépeignant sans concession une guerre sociale amoureuse et le parcours d'une femme, détruite par son péché originel : la passion vouée à l'homme qui aura finalement anéanti tous les repères qu'elle s'était construits.