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Jean Daive
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Jean Daive écrivait en 2022 qu'il clôturait avec Monoritmica le cycle de L'Alphabet de l'enfant, publié au fil d'une quinzaine d'années chez Flammarion. Il nous livre pourtant avec Tour de ficelle un somptueux codicille, qui vient boucler aujourd'hui ce monumental édifice de 1500 pages... Tournant autour du couple enfantin qu'il formait avec sa soeur, ce nouvel ensemble échappe aussi bien à une illusoire innocence qu'à la duplicité du monde des adultes. Comme toujours dans la poésie de Jean Daive, la narration reste discontinue, fragmentaire, étoilée : elle n'en laisse pas moins percevoir le fil d'un récit fondateur, exhumé depuis les méandres de l'enfance par un écrivain qui aura cherché jusqu'au bout à démêler les arcanes secrets de son existence - ceux-là même qui auront justifié son engagement dans l'écriture.
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De plus loin que la mélancolie
Jean Daive
- Klincksieck
- Critique de la politique
- 3 Mars 2023
- 9782252047057
Dans ces entretiens enregistrés pour France Culture de 1991 à 1996 à l'Infirmerie Spéciale de la Préfecture de Police puis à l'hôpital Sainte-Anne, Marcel Czermak, psychiatre psychanalyste, et Jean Daive, écrivain, radiographient ensemble, chacun dans son registre de parole - analytique pour l'un, phonétique pour l'autre -, un nouveau « malaise dans la civilisation », tel que le donnent à interpréter les pathologies psychiques auxquelles Marcel Czermak est confronté aux urgences psychiatriques : disparition, délire de négation, égarement, phobie, traumatisme, deuil, mélancolie, psychose... Les patients sont parfois présents dans la pièce, et leurs voix donnent relief à ce que Fitzgerald nommait « la fêlure » (The Crack up), ces coups qui viennent du dedans et « qu'on ne sent que lorsqu'il est trop tard pour y faire quoi que ce soit ».
Écouter, soigner en écoutant, entendre les bouches qui ne parlent pas ou qui parlent sans s'ouvrir est le travail de Marcel Czermak. La clinique et la pratique de la cure lui permettent de faire apparaître les structures individuelles et transindividuelles à partir desquelles se lève un diagnostic sombre sur notre temps. -
Monoritmica est le dernier titre d'un cycle qui en comportait quatre : Une femme de quelques vies, Onde générale, Monstrueuse, Crocus. Le cycle s'achève donc et porte le titre générique de L'Alphabet de l'enfant.
12 épisodes ou 12 états d'une enfance qui s'appellent : apprendre à lire, apprendre à parler, inventer des grilles de langage, apprendre à marcher, tourner derrière un trotteur, se perdre 2 fois dans une même forêt, découvrir le son et découvrir le son des mots, tout est cliquetis, mère alchimiste, père organiste, la nuit et les plumes, la baignoire universelle...
J. D. -
Depuis Décimale blanche (1967), Jean Daive est l'auteur d'une oeuvre énigmatique et dense, qui a marqué le champ poétique contemporain. Crocus succède à Une femme de quelques vies, Onde générale et Monstrueuse, accueillis ces dernières années dans la collection Poésie/Flammarion.
Pourquoi, comment à la fin
entres-tu dans une caverne
même pas pour disparaître ou te cacher ?
Plus simplement pour ramper sur les mains
écrire sur les parois ce que
tu n'as jamais écrit dans les livres
au milieu des traces de toutes
sortes à plat sur le dos, tu écris
comme autrefois
à plat sur le dos
sous le lit. Tout est si proche de la main
dans le noir, au sol
reste là, attends que je vienne
attends que j'éteigne
le noir efface si bien
même le regard du chien qui veille
magnétise les heures, les mots et toi. -
Au lieu de suivre
un tracé
il prépare un décor
le faut-il, le doit-il ?
il n'est pas
à l'abri
du Minuit
car Minuit
est à l'ordre
du jour
un rideau pour l'amour, un objet long
pour l'échéance, il écrira - au féminin
entre guillemets -
L'idée d'un triptyque présentant au moins trois images est à l'origine de ce travail qui en reprend la construction sous la forme de trois romans en vers. Le titre générique Trilogie du temps laisse présager que trois livres, Objet bougé, Le Retour passeur, Les Axes de la terre conçoivent une interprétation du système solaire où les planètes se meuvent sur des orbites elliptiques. Ces livres relatent les perturbations des trajectoires planétaires et les mouvements de révolution des corps célestes soumis à un magnétisme - la gravitation universelle - et non plus à d'autres forces que la main de Dieu. La mémoire de ces lois apprises sur les bancs de l'école et toujours vérifiables dans le boîtier ouvert d'une montre, révèle à nouveau une vision héliocentrique de l'univers ainsi que toutes les dérives possibles en combinaisons, en calculs d'angles, en gravitations des astres, en positions vues depuis la terre. Les personnages évoluent, ondoient comme des comètes, ont leurs déplacements dans la vie et dans le sommeil. Il y a aussi le métabolisme de chacun, les forces d'attraction, les centres de gravité, les rotations autour de l'origine, de l'identité, de la langue, même si les surfaces reflètent, mais ne sont pas perceptibles à l'oeil nu. Il faut rappeler qu'un triptyque, en principe, offre trois images : celle du panneau central pouvant parfois être cachée par les deux volets fermés qui laissent à leur tour entrevoir une quatrième image, le plus souvent l'auteur en son ordinaire ou le bienfaiteur. La Trilogie du temps se referme donc sur un autre roman et ses personnages : L'Autoportrait aux dormeuses. Le bienfaiteur, présenté ici en lecteur généreux et attentif, ouvre délicatement le volet de gauche et livre les douze chapitres qui séparent, non pas en lumière noire mais en étendue, le soleil et le soleil. Ce travail est aussi une méditation sur l'éternel retour, qui n'est pas l'éternel féminin, comme traumatisme inapparent.
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Le Retour passeur est le deuxième volet de Trilogie du temps.
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Tome IV : W, comme Wien. C'est dire la part donnée dans cette quatrième partie de Narration d'équilibre (Hachette POL, 1982) à Vienne où le narrateur a fait de fréquents et longs séjours. C'est un peu comme si quelqu'un (un analyste?) retrouvait une vieille boîte contenant les fiches des séances d'une analyse étrange. C'est un peu comme si l'auteur essayait d'introduire dans l'écriture - en même temps - la verticalité et l'horizontalité. Le narrateur est en effet couché, allongé dans le sommeil et il est debout puisqu'il marche désespérément dans les rues de Vienne pour aller jusqu'au bout du drame qu'il ne parvient à éclaircir tout à fait en dépit de la marche forcenée et du sommeil dont il tire toutes les images de l'intrigue. Tome V : New York. Un homme longe l'Hudson et suit une tache jaune qui flotte au milieu du fleuve. Elle va développer dans son sillage une force d'intrigue dont le mouvement amène le narrateur à s'interroger sur l'image, sur sa formation génératrice des trames du récit. L'image se transformant en plaque sensible progressivement capte les fragments, les phénomènes du réel pour laisser apparaître les éléments diphractés par l'écriture. Alors que la pensée élucide l'instant, la vitesse de la langue renvoie au temps de l'enfance, et plus loin au temps de l'antériorité. Tout le livre se développe donc comme un itinéraire et géométriquement comme un jeu de dominos, à travers lesquels visions, récits, souvenirs, illuminations induisent à un autre temps, où les plans d'une vie comme les plaques noires des dominos disposent le long de l'espace des énoncés de notre secret.
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Perçu à New York en 1970 comme une série de bougés qui seraient des moments d'un apprentissage, Narration d'équilibre s'achève aujourd'hui, vingt ans après, avec l'expérience photographique, où les légendes, échos du vers, captivent l'enfant. Mais la partie centrale : 7 - Une leçon de musique, met en scène un narrateur aux prises avec le bougé féminin. Il y aurait quatre femmes : la femme invisible, la jeune femme, la femme qui n'existe pas, la femme endormie. Elles tournent avec les pages et avec l'enfant pour révéler la figure négative ou différer le mot FIN, car moi est une virgule.
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Dans une maison ronde à l'architecture tragique, comme un crâne, le narrateur, cet homme qui a renoncé, laisse venir à lui Ada, Ira, Alwa. Ada est sans cohésion, elle gesticule, elle crie. Ira vit toutes les audaces de la chair, toutes les curiosités. Alwa n'attend plus rien du mystère de la vie. Peut-être ces trois femmes n'en sont-elles qu'une : 'Ada, Ira, Alwa. Tu pénètres comme un éclair dans mon secret ou mon dérèglement. Je veux.' Jeux sexuels, recherche sans repos d'une raison, questionnement des sens et des mots, mise en chaîne des fantasmes : jamais Jean Daive n'est allé si loin et de manière formellement si intense dans le fond noir de l'âme.
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«Qui était-il le personnage autre que Non?» Ainsi commence le premier tome d'un vaste roman qui en comporte sept et qui raconte les saisons en enfer de Jonathan Goofo. Ce héros moderne de l'égarement, confronté en permanence à l'Histoire humaine où chaque phrase de vie trouve en l'autre un monde réellement renversé, entraîne après lui un processus charmeur de désintégration généralisée. D'aventure en rencontre, d'expérience en dérive, c'est-à-dire du crime à l'inceste, de la cérémonie du suicide ou du rituel de la pince à sucre à la bisexualité, il s'avance toujours plus fasciné par ce qu'il appelle le pire impossible. L'écoulement du temps et parfois son triomphe sont donc appropriation par l'homme du déploiement de l'univers jusqu'à la folie. Dans un registre torrentiel tout d'abord, puis romanesque et narratif, enfin analytique, l'auteur saisit le siècle : l'ironie de l'Homme sans qualités devient celle du délinquant impeccable. Tome I : Elle descend l'escalier. Il descend l'escalier. Elle lui parle : «Je présage vous aimer.» Raconte son expérience du placard. Il lui parle. Raconte son Traité de la disparition. L'amour est naissant. Le premier voyage commence.
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Propositions d'été induites par des énoncés d'hiver
Jean Daive
- FeniXX réédition numérique (Fourbis)
- 5 Novembre 2015
- 9782402016896
Une réflexion de l'auteur autour du cycle Narration d'équilibre. « Copyright Electre »
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Les écrits. No. 131. Mars 2011
Alain Farah, Emile Martel, Patrick Chatelier, Normand de Bellefeuille, Marie-pascale Huglo, Phili Beck
- Les écrits de l´Académie des lettres du Québec
- 14 Octobre 2015
- 9782924558126
Un numéro de revue ne se construit pas uniquement autour d'un thème, mais aussi à partir d'un ton ou d'une tonalité: d'une clé, comme disent les musiciens. Les textes rassemblés dans cette édition font entendre une certaine hauteur de notes où l'on ressent à la fois une sourde inquiétude, et une ironie grinçante, qui peut aller jusqu'au rire le plus lucide, le plus libérateur. Le portfolio de Christine Palmiéri côtoie ici la prose et les vers de Jean Daive, Alain Farah, Émile Martel, Patrick Chatelier, Normand de Bellefeuille, Marie-Pascale Huglo, Philippe Beck, Nicole Caligaris, Guy Beausoleil, Serge Lamothe, Kim Doré, Patrick Nicol, Jean-François Poupart, François Charron, François Rochon, Cristina Montescu, Jean Royer et Jacques Rancourt.
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La condition d'infini Tome 2-3-4 ; le jardin d'hiver, la maison des blocs tombés, le mur d'or
Jean Daive
- P.O.L
- Fiction
- 26 Janvier 2010
- 9782818001288
Aimer permet-il à l'homme chassé de l'équilibre des choses de s'exprimer aussi totalement que possible? Ce qu'il a perdu se précise au travers d'une délinquance insoutenable dont les tomes II, III et IV rassemblés dans ce volume racontent les aventures, c'est-à-dire les lésions. Vienne et toutes les beautés d'un jardin d'hiver. Il neige. Maïa doit mourir. Ed et Ad, ses enfants, dorment enlacés au fond d'une armoire. Ils l'enterrent et rencontrent d'étranges personnages : Hammet-Hegel, philosophe détective, Paula la boiteuse qui joue du violoncelle au pied d'un noyer battu par les vents, Laïos le constructeur d'avions à énergie humaine, et d'autres encore, fantasmes peut-être, signes ou symboles, mais aussi acteurs bien réels d'une histoire qu'ils essaient d'investir à travers l'élucidation des origines et l'intelligence du présent. Les personnages se lancent à la poursuite de la vérité qu'ils géométrisent en une série d'épreuves, de jeux, d'injonctions et de procès. Si l'amour et la solitude sont le sujet de cette vaste entreprise romanesque, Vienne, complexe et sombre, contradictoire, insoluble, lieu par excellence où peut être à nouveau posée la question du sujet, Vienne ne pouvait qu'en être le théâtre.
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C'est l'automne sur un monde qui finit et sur un décor à la fois fabuleux et impressionnant de surréalité : Paris, la Contrescarpe avec ses paulownias, le jardin du Luxembourg, les quais de la Seine grise. Un personnage fascinant donne une dimension démesurée à l'Histoire : Paul Celan. Jean Daive, le narrateur, raconte, et le témoignage, en montrant comment la vie exile l'enfance, c'est-à-dire l'origine, restitue une sorte de crépuscule des dieux. L'extrême liberté des échanges, des rencontres, des promenades à l'ombre des marronniers, se fait pensée et langage en accord avec la promesse d'un effondrement universel, entre autres provoqué par ce que nous vivons en permanence : un transfert d'identités qui nous déplace et nous remplace en nous-mêmes. Notre condition d'infini. L'idée de délinquance impeccable, en action dans les deux volumes précédents, prend ici toute son amplitude au nom d'une urgence qu'il faut bien appeler destin.
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Les Axes de la terre est, après Objet bougé et Le Retour passeur, le troisième volet de Trilogie du temps.
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La condition d'infini 6, 7 ; Americana, un délinquant impeccable
Jean Daive
- P.O.L
- Fiction
- 30 Mai 2013
- 9782818018446
Quelle est la nature profonde de Jonathan Goofo? Il fascine de façon inaltérable, alors qu'il apparaît vide et sans objet, en retrait du monde. Que cherche-t-il au coeur de l'été américain? Autour de Jonathan Goofo gravitent d'étranges personnages, poussés par une sorte d'appel chanté : Frank Hammett-Hegel, Denise Greenbald, Nitsa Leew, Robert Rauschenberg qui lui apprend à pêcher dans le Golfe du Mexique le non-poisson. Jonathan, quant à lui, préfère apprendre à aimer l'amour qu'il identifie communément au non-crime. Avec les promesses ou les effets d'une délinquance impeccable s'achèvent les tomes VI et VII du quatrième et dernier volume de La Condition d'infini. Le roman couvre une durée de treize mois. Il se déroule du mois de mars au mois de mars de l'année précédente, car les saisons se succèdent à l'envers. Le temps n'est pas arrêté. Il est inversé. La fin du livre inscrit organiquement son injonction, elle ne peut donc surprendre le lecteur : 'Si vous voulez vous trouver, cherchez la femme psychiatrique.
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Tome IV : W, comme Wien. C'est dire la part donnée dans cette quatrième partie de Narration d'équilibre (Hachette POL, 1982) à Vienne où le narrateur a fait de fréquents et longs séjours. C'est un peu comme si quelqu'un (un analyste?) retrouvait une vieille boîte contenant les fiches des séances d'une analyse étrange. C'est un peu comme si l'auteur essayait d'introduire dans l'écriture - en même temps - la verticalité et l'horizontalité. Le narrateur est en effet couché, allongé dans le sommeil et il est debout puisqu'il marche désespérément dans les rues de Vienne pour aller jusqu'au bout du drame qu'il ne parvient à éclaircir tout à fait en dépit de la marche forcenée et du sommeil dont il tire toutes les images de l'intrigue. Tome V : New York. Un homme longe l'Hudson et suit une tache jaune qui flotte au milieu du fleuve. Elle va développer dans son sillage une force d'intrigue dont le mouvement amène le narrateur à s'interroger sur l'image, sur sa formation génératrice des trames du récit. L'image se transformant en plaque sensible progressivement capte les fragments, les phénomènes du réel pour laisser apparaître les éléments diphractés par l'écriture. Alors que la pensée élucide l'instant, la vitesse de la langue renvoie au temps de l'enfance, et plus loin au temps de l'antériorité. Tout le livre se développe donc comme un itinéraire et géométriquement comme un jeu de dominos, à travers lesquels visions, récits, souvenirs, illuminations induisent à un autre temps, où les plans d'une vie comme les plaques noires des dominos disposent le long de l'espace des énoncés de notre secret.