Gallimard
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« En territoire pictural nos yeux se délectent des mouvements d'hésitation ou de décision de la main. Quand on délègue aux mots ce qui ne sort pas forcément d'une boîte de couleurs, les relire imprimés (le livre montre le net et le net m'inquiète) donne des envies de retouches.
Vieilles habitudes du peintre qui travaille uniquement sur manuscrit : le tableau même. Mettons qu'une raison de nature me fait revenir sur mes pas typographiques ; encore que, dans la foulée, mon crayon fonce ici vers de nouvelles pages. » Pierre Alechinsky nous a livré, dans trois ouvrages publiés dans les années 1990 (Lettre suit, 1992 ; Baluchon et ricochets, 1994 ; Remarques marginales, 1997) des souvenirs, des impressions et plein d'anecdotes. Les artistes qu'il a connu tout au long de sa longue carrière artistique, les personnages les plus disparates, les situations les plus cocasses et inattendues prennent forme sous la plume de cet artiste franco-belge qui se révèle aussi créatif en littérature qu'en peinture.
Ambidextre est né de la réunion des ces trois volumes parus chez Gallimard et quelques ajouts.
Il est enrichi d'une iconographie originale sélectionnée par l'artiste pour cet ouvrage, sorte de cabinet de curiosités artistiques.
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«À la question:Expliquez-moi votre peinture!, je lance:Si je pouvais le dire, je ne le peindrais pas. Développerais-je, aussitôt mon tableau deviendrait la poupée du ventriloque. Mais la peinture ne couvre pas tout... Peintre écrivant, je ne suis pas toujours un fanatique de la peinture. Souvent elle m'offre des facilités, je me les passe. Écrire me pose davantage de problèmes, m'en impose. Je biffe à longueur d'idées et de pages. Dans l'ordonnance ratissée du parc typographique subsistent peu de traces de mon vagabondage. Dommage. Le peintre qui tire parti de ses ratures aime les exhiber. Le livre imprimé, au contraire, masque celles de l'écrivain. Porte-à- faux de ce préambule:Roue libre ne parle pas du tout de cela. Il y sera question de roues et d'interprétations tissées dans leurs rayons. Rue de la Verrerie, une roue renverse un verre:le voilà Rêve.» Pierre Alechinsky.
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«Marcher en arrière pour voir plus loin que le bout du pinceau et vite en avant pour ne pas perdre l'idée. Alors, s'asseoir à une table, écrire, me surprend toujours un peu. L'oeil se règle à distance fixe, la table devant moi, le buvard, le cahier où s'alignent les cursives. Ma main droite, celle qui écrit, fait revenir ce que le plaisir de peindre avec ma bonne main, la gauche, ne dit pas. Nous travaillons à un mythe muet, disait Asger Jorn, dont il est question dans ces pages, où passent James Ensor, Bram van Velde, Christian Dotremont et Cobra. Un peu de géographie aussi, des déplacements, les titres de mes tableaux qui vivent le nez contre le mur, divers oublis. Et autres souvenotes.» Pierre Alechinsky.
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En territoire pictural nos yeux se délectent des mouvements d'hésitation ou de décision de la main. Quand on délègue aux mots ce qui ne sort pas forcément d'une boîte de couleurs, les relire imprimés (le livre montre le net et le net m'inquiète) donne des envies de retouches. Vieilles habitudes du peintre qui travaille uniquement sur manuscrit : le tableau même.Mettons qu'une raison de nature me fait revenir sur mes pas typographiques ; encore que, dans la foulée, mon crayon fonce ici vers de nouvelles pages. Entre autres sur des coïncidences plus ou moins explicables, des grenailles errantes, rêveries et diableries ; sur une façon d'affronter, subir, se rendre à l'évidence ; sur le très mauvais quart d'heure que passe un tableau supposé terminé ; sur un refuge, l'atelier du lithographe où l'encre fleure encore la bonne huile de lin.
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Que devient Cobra ? (Alphonse Allais eût coupé court, s'en serait tiré avec une note en bas de page*.) Dans ce baluchon on tiendra déjà un passe-partout qui fait jouer deux ou trois serrures, et pas toujours en rapport avec Cobra : la pipe de Magritte (qui n'en est pas une) se met à fumer, Miró éternue du bleu, Christian Dotremont ne fait pas que des farces, Jean Tardieu se laisse pousser la barbe et Pollock glisse sur une racine de bambou, tandis qu'Henri Cartier-Bresson, derrière la gare Saint-Lazare...L'auteur, qui ne discerne pas bien la différence entre l'art moderne et l'art contemporain, et qui opterait - quant à lui - pour le temporain, se demande parfois ce qu'il laissera sous le paillasson : plume ou pinceau ?*C'est loin tout ça.