Il s'appelle Mark Clifton.
Aux États-Unis, il est considéré comme le plus grand acteur de sa génération. Adulé par les uns, détesté par les autres, il n'a jamais réussi à prendre au sérieux ni son métier ni sa célébrité. Lucide, sauvage, agressif, il est doué pour l'errance de femme en femme et ressemble davantage à un insoumis en liberté provisoire qu'à une star de cinéma.
Amélie, elle, dérive d'un boulot minable à un autre en souriant. Assez sûre de son charme vénéneux comme de son sens de la dérision. Brumeuse et solaire, excitante et déchirante, souveraine et déchirée, elle passe sans cesse de l'enfant perdue dans ses brumes à la jeune femme ivre de vie que rien n'impressionne. À première vue, ce n'est sans doute qu'une petite blonde comme une autre, mais elle va entrer dans la vie de Mark Clifton avec une singulière présence.
Jacques Sternberg avait déjà prouvé avec Toi, ma nuit puis avec Sophie, la mer et la nuit, qu'il préférait l'insolite à la psycho, le suspense sexuel à la romance sentimentale. Paradoxalement, cette fois sur un thème apparemment banal, il signe un livre encore plus obsédant, encore plus curieux. Et, surtout une troublante histoire pleine d'orages, d'ambiguïté et d'imprévu.
Touche à tout de génie, esprit anticonformiste, Jacques Sternberg avait plusieurs passions : l'écriture, le jazz, la voile, et la dérive "au bord de l'éternel féminin".
Sophie a le charme, le mystère, l’indolence et la soif de liberté qui peut faire chavirer le plus habile des marins. À la fois "royale et minable, fauve et perdue, nocive et désarmée";, elle fascine dès le premier instant. Son déchirant sourire cache une dangereuse évidence qui va faire découvrir au narrateur de ce roman des paysages dont il n'aurait jamais soupçonné l'existence. D'une banale rencontre à un improbable voyage, l'amant et enquêteur, proie et chasseur, se perd dans une nuit sans fin dont la seule lumière est la cause de sa perte.
Après avoir été le plus grand succès de Jacques Sternberg, Sophie, la mer et la nuit, est devenu un livre-culte. À mi-chemin entre le suspense psychologique et le récit fantastique, il dévoile le goût pour l’absurde, l’érotisme et l’humour noir d’une figure marquante du bouillonnement culturel des années 70.
Fils d'un diamantaire juif d'Anvers réfugié à Cannes en 1939, Jacques Sternberg, rattrapé par la guerre, s'enfuit en Espagne en 1942. Incarcéré pendant trois mois à la prison de Barcelone, le jeune homme de vingt ans est renvoyé en France. Il passera huit mois dans les camps de triage de Rivesaltes et Gurs avant de réussir à s'évader. La Boîte à guenilles est le récit poignant de cet internement. Sternberg évoque la faim, le froid, la promiscuité et l'angoisse permanente d'être déporté en Allemagne. Témoignage d'un passage brutal à l'âge adulte, ce livre, publié en 1945 à Bruxelles sous le pseudonyme de Jacques Bert, n'avait jamais été réédité.
Auteur que personne n'a jamais réussi à étiqueter, Jacques Sternberg a toujours mélangé à plaisir les genres littéraires et les conventions. Inutile d'en douter, c'est dans ce roman à la fois sauvage et maîtrisé, tendre et choquant, qu'il a le plus sûrement réussi à brouiller toutes les pistes. Texte érotique ? Livre d'humour noir ? Roman fantastique ? Délire verbal ? Hymne d'amour agressif ? Confession rêvée ? Rien de tout cela en particulier et tout cela en un seul bouillonnement de 300 pages. Au gré de ces pages, parfois torrides, parfois glacées, allant de Charybde en Scylla comme de Charlotte en Cécilia, passant de fulgurantes rencontres en ratages absurdes, d'éblouissements en hébétudes, de pièges charnels en chairs piégées, Sternberg oscille avec une égale désinvolture entre l'humour et la terreur, la pornofolie et la poésie, ne reculant pas davantage devant les jongleries avec le temps ou les chutes à pic au fond des galaxies et de l'impossible.
Que ce roman de Sternberg ne soit pas à mettre entre toutes les mains, c'est fort possible : il faut surtout éviter de le donner à lire à tous ceux qu'attirent les confessions réalistes, le sérieux ou la vulgarisation pratique. Mais ce même roman devrait être mis entre les mains de tous ceux que fascinent l'amour et l'imaginaire, l'épouvante et la dérision. Jamais, sur tous ces plans qui se rejoignent si bien entre eux, Jacques Sternberg n'avait été aussi loin, avec autant de provocation. Jamais non plus il n'avait passé avec plus de décontraction de l'obscénité au lyrisme, de la cruauté au désespoir. Est-ce important de l'ajouter ? Des trente livres que l'auteur à signés, c'est celui qu'il préfère personnellement.
Cela se passe en 1986.
Face à la mer vit un homme qui s'est retiré dans une modeste maison avec la femme qu'il aime. Tous deux ne pensent qu'à l'amour, la voile, à survivre.
Sort enviable ? Simple mirage au bord même du cauchemar : les océans ne sont plus qu'un seul égout, la terre et les airs un seul magma de pollution meurtrière.
Depuis les années 80, une impitoyable censure occulte la terrifiante réalité et le pouvoir, dont personne ne connaît plus la couleur exacte, n'a qu'un seul souci : demeurer dans l'ombre et en équilibre au bord du gouffre inéluctable.
L'épouvante quotidienne filtre malgré tout, à travers tout : la pollulose tue sans faire de détail, l'espérance de vie est tombée à 45 ans, mais l'industrie gargouille toujours ses poissons alors que le commerce, rongé par une crise de plus en plus pernicieuse, croule dans le délabrement. Une canicule de printemps va jouer le rôle d'un détonateur. Et, en mai 86, avec la force d'une gigantesque lame de fond, les hommes passent à l'action, en marge de toute idée de parti, sans discours, simplement poussés par la lucidité et la peur de crever. Non plus dans vingt ou trente ans, mais dans la semaine à venir.
Jacques Sternberg aime bien la spéculation qui donne à rêver. En 56, il parlait déjà de pollution et, en 65, de révolution sexuelle. En 78, il imagine un monde où le seul pouvoir sera celui de la grande trouille et de la volonté de survivre.
Ce mai 86, vécu par un couple de refuseurs professionnels que l'écroulement de tout un monde fait sourire, n'est pas seulement un chant d'amour de la vie, de la mer, et de l'individu. C'est aussi un violent cru de haine contre la politique, les gouvernements, le fric et la promotion. Un nouveau genre en somme : un livre d'apolitique-fiction.
Fasciné par la mer et la voile, Jacques Sternberg n'aime pas l'Aventure. Il n'a donc jamais traversé l'Atlantique en solitaire, pas davantage la Manche puisqu'il barre un vieux dériveur avec lequel il a pourtant avalé des milliers de milles.
Alors, il rêve, il ne peut que rêver. Il fantasme, il mirage à plein temps sous le vent. L'écoute entre les dents, une main au cul des filles, l'autre rivée aux focs sauvages, la barre entre les jambes, le Navigateur surfe à 25 noeuds dans les vagues de l'absurde et remonte au près serré le courant de la démence.
C'est avec un dériveur léger qu'il défie le Pacifique et sur une île pneumatique qu'il salue, naufragé, le Horn ; c'est avec un équipage de 80 épouses à bord d'une goélette qu'il attaque la flotte de la Kriegsmarine SS ; il gagne les Jeux Olympiques sous le vent qu'il a emporté dans un sac, louvoie entre les lettres des mots OCÉAN ATLANTIQUE inscrits dans le bleu marin des Atlas, s'envole sous spi au-dessus des banquises arctiques, sauve sa peau échoué sur un cachalot, défie tous les océans et tous les cyclones, mais sombre dans le ridicule en remontant la pollution de la baie de Seine et se retrouve au camp de concentration des Glénans après avoir mené une mutinerie sur un voilier de haute compétition.
Bref, il navigue. Mais dans le délire de préférence, sans négliger de nombreux dessalages dans l'érotisme, emporté par une passion du verbe qui souffle à force 9, de la première à la dernière page.
À notre époque de performances hauturières dans le sérieux, l'efficience réaliste et la névrose du record, le livre de Sternberg tombe comme un pavé dans l'océan. C'est sans nul doute le premier livre d'amour et d'humour fous, de dérision et de « porno-marine » que l'on ait eu l'idée de cracher dans les voiles du nautisme.
Touche à tout de génie, esprit anticonformiste, Jacques Sternberg avait plusieurs passions : l'écriture, le jazz, la voile, et la dérive "au bord de l'éternel féminin".