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Kinoscript
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Dom Juan résonne dans nos têtes comme une chanson de supermarché : tout le monde la connaît, mais personne ne peut mettre un nom sur cette réalité galvaudée : Dom Juan, c'est le sécuteur invétéré, le cynisme fait homme, l'égoisme incarné. Certes, les faits sont là. Mais derrière cette figure mythique et mythifiée, il y a un personnage conceptuel extrêmement subversif. Car, bien avant Nietzsche et Stirner, ce que propose le gentilhomme castillan, c'est de placer l'individu au centre des préoccupations. A une époque où Louis XIV fait de son mieux pour institutionaliser un centralisme castrateur.
C'est pourtant lui qui finance Molière, car ce dernier sait poser des drames qui fonctionnent sans faire trop de bruit. Même si Dom Juan n'échappera pas à la censure. Il n'échappera pas aux professeurs de Lettres, qui contribueront à diluer et discipliner le message hédoniste de Molière.
Cette lecture est une invite à lire Dom Juan comme une bombe philosophique à retardement : rien ni personne n'est épargné. Heureusement, c'est une comédie.
O.S.V -
Telle est l'ironie de la littérature : Stendhal qui voulait écrire pour ses « happy few » se retrouve bien malgré lui le symbole d'une culture classique et rebattue, lui que tout lycéen de bonne naissance se doit d'avoir lu. Et pourtant quelle subversion ne se cache-t-il pas dans ses romans - notamment Le Rouge et le Noir! Un fils du peuple, Julien Sorel, que le destin vouait aux champs, se fait anoblir et mettre à mort. Entre-temps : adultère, mensonges, ambition, infidélité, tentative d'assassinat... De quoi donner à penser sur la société de la Restauration... En fait, si les bâtisseurs de programmes de l'Education Nationale y prêtaient attention, ils interdiraient aux enfants la lecture du Rouge et le Noir. Trop dangereux pour une nation. Explication. D'abord, la dénonciation brutale des nantis. Que ce soit le maire de Verrières, M. de Rênal, ou le ministre du Roi, le Marquis de la Mole, l'image des puissants croquée par Stendhal n'est guère séduisante : faibles, naïfs ou bien arrogants et calculateurs, ils font très fin de race. Impuissants à tout acte de force, contrairement à Julien, qui, lui, est emporté dans un tourbillon de passions et de violences, d'intelligence et de volonté. En somme des valeurs aristocratiques. Bref, le monde à l'envers. Mais le monde tel qu'il est. Pour le collégien, c'est lui enseigner à mépriser son professeur... Le Rouge et le Noir, c'est également, l'athéisme à l'état pur. Nietzsche ne s'y trompera pas, lorsqu'il dira dans Ecce Homo : « Peut-être suis-je même jaloux de Stendhal. Il m'a volé le meilleur mot que mon athéisme eût pu trouver « La seule excuse de Dieu c'est de ne pas exister.» » En effet, Julien se sert au sens propre de l'Eglise pour arriver. Son idole est Napoléon et non le Christ, symbole d'une philosophie de l'agonie, du pardon, de l'égalité. Sorel lui ne rêve que d'empire. Sur soi, les autres, le monde. En un sens, il est un peu à sa manière une esquisse du Surhomme que pensera le philosophe quelques décennies après. Encore une fois, rien de très séant à notre jeunesse. Enfin, et c'est là le génie de Stendhal, Le Rouge et le Noir renvoie dos à dos l'héritage révolutionnaire et le marasme monarchique. La Révolution qui ne peut mener qu'à un monde fait d'illusions, où l'humain prend son désir pour de la réalité, jusqu'à la folie. La Monarchie qui a perdu tout désir d'être, et qui n'est plus que dans le paraître des salons mondains. En ce début de XXIe siècle, les individus se cherchent toujours, incapables, comme Julien Sorel, de devenir ce qu'ils sont. Si l'Ecole ne l'enseigne pas, laissons Stendhal nous l'apprendre. La présente édition est la reproduction de celle de novembre 1830 chez les éditions Levasseur.
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« J'accuse...! » fait partie de ton bon action kit de l'intellectuel engagé, révolté et déchainé contre l'Ordre injuste, le Mensonge et les abominables hommes verts qui constituent le corps militaire. Symbole de l'hypocrisie et de l'antisémitisme d'une société française en pleine mutation; qui a du mal à s'installer dans la IIIe République. D'où les poses d'un Bernard-Henri Lévy, faisant de Zola, dans Les Aventures de la liberté, le premier intellectuel dans l'histoire des idées... Alors, si on relis « J'accuse...! » y trouvera-t-on quelque chose d'intéressant? Ou n'est-ce que la genèse d'une idéologie idéaliste qui croit qu'un article de journal peut bouleverser l'ordre de l'univers? Et que les écrivains, les philosophes, les penseurs de tout bord sont les agents de ces changements? Oui. On peut relire « J'accuse...! » sans crainte. Car, ce qui mérite l'admiration n'est pas tant cette posture romantique d'un naturaliste énervé, mais d'un homme qui ne triche pas. Et qui est prêt à tout pour se mettre d'accord avec lui-même. A voir un déferlement de haine, d'injures et d'agressions s'abattre sur lui. A mourir même. Contrairement à tant de lecteurs de « J'accuse...! » d'ailleurs. Si courageux dans leurs écrits et si précautionneux dans leurs actes. Zola le rital, comme on a pu le désigner dans ce climat anti-dreyfusard, lui, met sa peau sur la table. Comme Rabelais et quelques autres, qui se comptent sur les doigts d'une main. L'autre raison de re-lire « J'accuse...! », c'est le style. Pas celui que l'on vous fait décortiquer au Lycée. Mais celui qui vaut à Zola l'admiration de Céline. Qui dira : « Il n'est peut-être que temps, en somme, de rendre un suprême hommage à Émile Zola ». On l'oublie souvent, mais la langue de Zola, pour Céline, c'est celle qui fait vivre ses personnages, c'est cette force que rien n'arrête et qui emporte tout sur son passage. Dans la toute puissance de la musicalité d'un phrasé qui vous donne le réel, tel quel. Et Dreyfus alors de devenir, non pas une mode intellectuelle, ni un faire-valoir pour écrivain en recherche de gloriole, mais les tripes, le moteur, le sang. La présente édition reprend l'article paru le 13 janvier 1898 dans le quotidien L'Aurore. « J'accuse...! », plus de cent ans après sa parution continue encore d'accuser... les lecteurs innocents qui y lisent tout, sauf un manifeste du « style ». Un art poétique. A vos liseuses.
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L'alliage de l'érotisme et du vampirisme ne date pas du Dracula de Coppola en 1992. Il remonte, en France, au romantisme, plus précisément à Gautier, avec sa Morte amoureuse, en 1836. C'est vrai. L'idée de conférer au suceur de sang une dimension sexuelle était géniale : comment refuser la comparaison entre les relations amoureuses et celles que le vampire entretient avec ses victimes? Gautier va même plus loin : il choisit pour jouet de la belle et sensuelle goule, un prêtre... Charge à nous d'inter-préter. En effet, si Romuald est tellement attiré par Clarimonde la courtisane, c'est qu'il est l'archétype de la virilité réduite en esclavage par l'amour d'une femme, ou plutôt, le désir nu et brutal; mal vécu, mal gouverné et maquillé d'un discours aveugle teinté d'idéalisme. Les Freudiens pourraient convoquer la psychanalyse et, avec elle, la théorie du refoulement. C'est pour maintenir emprisonné dans son inconscient sa pulsion sexuelle pour une femme que Romuald dédouble sa personnalité. Freud, lecteur de Gautier? Non, Gautier lecteur de Sade. Si on plonge dans les sources d'inspiration de ce bijou littéraire qu'est la Morte amoureuse, on trouve aux premières loges, le divin Marquis. A plusieurs reprises dans l'oeuvre, Clarimonde prend plaisir à
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Roman d'aventure merveilleux en vers octosyllabiques, Lancelot ou le Chevalier de la charrette fut écrit entre 1176 et 1181 par Chrétien de Troyes à la demande de sa protectrice, Marie de Champagne (fille de Louis VII et d'Aliénor d'Aquitaine et épouse d'Henri Ier).
Par l'écriture de ce roman, l'auteur souhaitait flatter « sa » Marie tout en obéissant aux règles régissant le rapport entre un amant et sa dame ; tout comme Lancelot le fait avec « sa » Guenièvre en volant à son secours. C'est là le propre du roman courtois, la flatterie apparaissant tel un devoir de l'homme envers la femme qu'il tente de séduire avec respect et discrétion.
Mais bien moins romantique, bien plus lucide également, de Troyes avait en fait répondu au caprice de sa protectrice en vue d'abuser son mari, le comte de Champagne... Ainsi fidèle aux désirs de la crédule, l'auteur pouvait espérer la voir étendre son influence politique sur sa cour afin de le faire connaître. Mais oublions la manipulation pour en revenir à l'inspiration, à la fiction en d'autres termes, à l'histoire en elle-même...
Le vaniteux et cruel Méléagant - fils du roi de Gorre et chevalier du Pays sans Retour - retient captifs sur ses terres de nombreux habitants du royaume d'Arthur. Afin de voir les prisonniers libérés, l'un des chevaliers de la Table Ronde devra le battre en duel, à l'inverse de quoi la reine les rejoindrait dans leur exil. Le sénéchal Keu relève le défi mais perd le combat, si bien que Guenièvre est enlevée à son tour. C'est alors que l'humble Lancelot du Lac et Gauvain, lui-même chevalier de la Table Ronde et neveu du roi Arthur, prennent la route pour secourir leur reine.
Dénué de monture, Lancelot prend la route au creux d'une charrette conduite par un bouvier difforme et vil. Symbole de déshonneur suprême, c'est bien conscient du risque de devenir un paria que le chevalier se montre à visage découvert face au peuple croisé en chemin. Qu'importe alors la honte, le code de la chevalerie et l'honneur à préserver ! Ravalant sa fierté et sacrifiant son titre, ce dernier n'a qu'une obsession en tête : délivrer sa dame. Malgré ses deux pas d'hésitation à l'approche de la charrette, les sentiments éprouvés par Lancelot à l'égard de Guenièvre lui dictent aveuglément sa conduite, au rythme des battements de son coeur, en parfait accord avec son corps, herculéen quant à lui.
Une typographie médiévale ; une enluminure dans les teintes orangées ; un amoureux conquérant porteur d'un casque étincelant ; un acolyte hissé sur son destrier blanc... Bien que le véhicule au sein duquel l'amoureux a pris place soit la représentation même de la honte, l'édition nous présente une scène esthétiquement belle, les roues de la charrette semblant recouvertes de feuilles d'or et le bouvier lui-même donnant le sentiment d'admirer son passager.
Mais qui ne l'admirerait pas, lui, le chevalier de la Table Ronde aux vertus au carré ? Un triangle parfait entre reine et chevaliers, entre dilemme et roi, entre honneur, foi, et émoi...
Entre aventures chevaleresques et péripéties amoureuses, Lancelot ou le Chevalier de la charrette est l'incarnation idéale de ce à quoi pouvait ressembler l'amour courtois au Moyen Âge. De rang supérieur, la reine Guenièvre contraint finalement Lancelot à l'accomplissement d'un ensemble de prouesses et sacrifices qui prêtent au roman l'aspect épique lui donnant tout son rythme. Tout au long de son parcours initiatique, le chevalier prouve ainsi son dévouement sans limite à la femme qu'il aime tout en affirmant ses capacités surhumaines.
Chargé de leçons de vie sur l'amour triomphant, le roman sous-entend par ailleurs qu'en sauvant Guenièvre, Lancelot rétablit l'équilibre du monde. Détentrice des vertus d'une allégorie christique, l'oeuvre nous montre en effet, au travers de l'obédience du chevalier, combien les valeurs chrétiennes que sont l'allégeance, l'humilité, ou encore l'abnégation, peuvent difficilement être ignorées. C'est ainsi sous l'apparence de l'amant courtois que Lancelot représente la figure christique dans toute sa splendeur d'une part, l'être hors du commun d'autre part. Être auquel chacun rêverait de rassembler tandis qu'il en devient presque trop facile de s'y identifier... De l'ouverture du tombeau à son combat contre Méléagant en passant par sa traversée du pont de l'épée, le chevalier séduit les grands et les petits, les amoureuses romantiques et les nostalgiques aventureux en quête de chimérique. De lyrique et de didactique aussi. De mythique et de féérique surtout.