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Denoel
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Fun Home, chef-d'oeuvre d'introspection familiale, élargissait le territoire du roman graphique. Avec cette nouvelle plongée dans l'alchimie fondatrice des êtres, de leur conscience, de leur sexualité, Alison Bechdel apporte une profondeur inconnue. Son père était le sujet du premier livre. Cette fois, elle tourne le scanner ravageur de sa lucidité et de son humour vers sa maman : lectrice vorace, mélomane invétérée, ardente actrice amateur. Mais aussi, épouse infortunée d'un gay du placard, mère dont les aspirations artistiques ont bouleversé l'existence de sa fille, mais qui a cessé de la toucher et de l'embrasser à l'âge de sept ans. Là où James Joyce et Proust étaient les anges tutélaires du premier livre, ce sont les figures de Virginia Woolf, du pédopsychiatre Donald Winnicott et de l'extraordinaire auteur pour enfants D. Seuss, qui illuminent cette traversée des gouffres mère-fille, prétexte pour Bechdel à revisiter les replis d'une enfance singulière, les tourments d'une artiste à la poursuite de la vérité et les errements d'une vie amoureuse de serial-monogame.
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Un acte honteux ; le génocide arménien et la question de la responsabilité
Taner Akçam
- Denoel
- Mediations
- 6 Novembre 2008
- 9782207259634
« Un acte honteux » : tels sont les mots employés par Mustafa Kemal lui-même, père de la Turquie moderne, pour qualifier le génocide des Arméniens à partir de 1915 (un million de victimes). Pourtant, aujourd'hui encore, les historiens turcs ne peuvent travailler sereinement sur cette question, la contestation de la ligne officielle héritée de la fondation de la République étant passible de poursuites.
L'exception est très certainement Taner Akçam, historien turc vivant en exil et spécialiste des archives ottomanes. Partant d'une analyse rigoureuse de documents militaires et judiciaires inédits, ainsi que des minutes des débats parlementaires, des correspondances privées et des comptes rendus de témoins oculaires, il clôt définitivement le débat sur la principale question : celle de la responsabilité.
Akçam montre de manière irréfutable - puisque ce sont les documents ottomans qui parlent - que, loin de n'être qu'une conséquence aussi fâcheuse qu'involontaire de la Première Guerre mondiale, le génocide fut soigneusement planifié et exécuté par le parti au pouvoir à l'époque, le comité Union et Progrès, plus connu sous le nom de « Jeunes-Turcs ».
Ce n'est pas le point de vue des victimes mais celui des assassins qui est décortiqué ici. Akçam éclaire par là même les mécanismes psychologiques profonds qui ont poussé les agents de l'Empire ottoman finissant à se transformer en bourreaux avec autant d'aisance. Il montre aussi comment la Turquie a réussi à éluder ses responsabilités en jouant sur les rivalités étrangères dans la région et l'échec à traduire en justice les responsables.
Sans provocation ni militantisme, à l'heure où se pose la question de l'adhésion à l'Europe, Taner Akçam appelle les Turcs à tourner le dos au discours négationniste officiel et à affronter enfin, sans crainte, la réalité de l'histoire de leur pays.