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Cinquante-six, c'est l'âge de Carol Vanni au début de ce texte ; ce sont les chiffres inversés de son année de naissance ; le numéro d'une carte routière de son grand-père. C'est également le nombre de ses amants, jusqu'à aujourd'hui.
Relations d'un soir ou de plusieurs années, l'autrice se souvient de chaque homme côtoyé et fait revenir le souvenir de ces rencontres, plus ou moins chronologiquement. Pied-de-nez aux stéréotypes et loin de se conformer aux assignations faites aux femmes - femme-objet, épouse, mère ou amante, femme mûre supposée sage, que la société aimerait voir reléguées au statut de spectatrices de leurs vies et de leurs rencontres - l'autrice prend un malin plaisir à nous montrer par l'exemple que la voie peut être autre. Toutes ces femmes existent en même temps dans son récit, y compris celle qui vieillit et reste multiple.
Ce texte nous rappelle que disposer librement de son corps, de son désir et de son temps peut s'avérer être un joyeux déroulé d'expériences, plus ou moins épanouissantes, plus ou moins heureuses. Il est question de danse et d'amour, de ce qu'un être peut et veut, d'un mouvement tel une lame de fond qui pousse à aller vers... l'inconnu, l'autre, l'homme.
Par l'écriture, en évitant tous les pièges qu'une telle exposition de sa vie pourraient entraîner, Carol Vanni explore le rapport à son corps et au temps qui passe. Elle fait la part belle aux matières, odeurs, couleurs, sensations et bruits, en fait, à tout ce qui nous rend vivants. -
"Il arrive qu'un enfant s'émerveille d'une chose que personne d'autre que lui ne peut voir. Avec ses mots d'enfant, il tente de la décrire, mais personne ne l'écoute : les grands, c'est bien connu, ne croient que ce qu'ils voient. On l'accuse même de mentir. Alors l'enfant se tait et finit par douter de son regard. Ce doute peut persister longtemps, parfois une vie entière, sauf si l'enfant devenu grand découvre qu'il a vu vrai. Il se passe alors quelque chose d'étrange : son regard redevient aussitôt celui de l'enfant qu'il était."
Le regard, c'est le vrai héros de ce récit. Il apparaît d'emblée comme un personnage que l'on pourrait appeler Regard avec un R majuscule et qui aurait une vie parallèle à celle de la narratrice. Une vie avec sa propre histoire, mais comment la retrouver??
Et qui est-il, ce partenaire immatériel, muet et pourtant omniprésent?? Comment est-il né?? Quelle a été son enfance?? Les premières images qu'il a aimées comptent-elles encore, maintenant qu'il a grandi??
Chantal Deltenre recompose, à partir de souvenirs, de sensations et d'images, l'origine de ce compagnon de route. Elle nous emmène au coeur de cette enquête personnelle : une recherche qui invite tout un chacun à s'interroger sur son propre regard et sa construction ; avec, comme mantra, qu'il faut toujours croire aux regards d'enfants.
"C'est un livre qui tente de retracer la vie d'un regard. Je l'ai écrit en pensant à cette phrase de Georges Pérec: Il faut savoir questionner ses petites cuillères, ce qui invite à se pencher sur les petites choses qui font notre quotidien. Nous vivons dans un monde saturé d'images que nos regards ne cessent de capter, créer, enregistrer, collectionner, archiver. Chaque regard chemine à sa manière et nous prenons rarement le temps de nous interroger sur les raisons qui le font s'arrêter sur une image et pas une autre, mémoriser l'une et oublier l'autre... J'ai voulu chercher la réponse dans l'enfance d'un regard, à ses premiers pas dans le monde des images. C'est une exploration à la fois imaginaire et très concrète parce qu'elle s'appuie sur une enquête ethnographique parmi des images personnelles : photographies, cartes postales, chromos, films, planches illustrées d'un dictionnaire, etc ; l'enquête laisse entrevoir une continuité entre les images d'enfance et la façon dont un regard chemine plus tard dans le monde des images. C'est un récit personnel, mais toute personne peut se l'approprier. Il suffit de se poser ces questions : Comment est né mon regard ? Comment a-t-il appris à voir ? On oublie trop souvent cette présence immatérielle à nos côtés, comme si elle se confondait avec nous. Est-ce si sûr ? Je pense que se poser ces questions, c'est se donner ou se redonner une capacité d'émerveillement."
Chantal Deltenre, automne 2023 -
Sauvage est celui qui se sauve
Veronika Mabardi
- Esperluete
- En Toutes Lettres
- 14 Janvier 2022
- 9782359841497
C'est loin, vu d'ici, la Corée.
Il ne portait sur lui qu'un petit pantalon de toile.
Des chaussons de caoutchouc vert et blanc.
Un bracelet de plastique scellé où quelqu'un avait écrit son nom et l'adresse d'une famille dont il ne savait rien.
Il n'avait dans ses poches ni miettes ni cailloux.
Rien qui lui permette de retrouver son chemin.
Il disait : je porte un masque de Chinois sur un visage d'enfant blanc.
Vous ne voyez que le masque.
Il a pris son visage entre ses mains.
L'a déposé sur le papier, la toile et la terre.
Et il est reparti.
Comme point de départ au texte, il y a un point de bascule, situé en 1997, lorsque Shin Do Mabardi meurt brutalement, dans un accident de voiture. Il laissait son travail de céramiste, ses dessins, une pile de carnets et, dans la mémoire de ceux qui l'ont connu, une impressionnante douceur et beaucoup de silence.
Veronika Mabardi se place à l'endroit de ce silence pour suivre les traces qu'il a laissées, comme on suit une piste. Elle délie les souvenirs d'enfance, dans le tourbillon des années 70, les éblouissements de l'adolescence au creux des années Tatcher, la connivence et le lien entre une soeur et un frère désorientés. Elle dresse la cartographie de cette rencontre improbable, au sein d'une famille métisse.
Elle remonte le chemin vers la fratrie, les jeux, les solidarités de l'enfance. Les liens indéfectibles avec les amis. Les premiers choix et les premiers doutes. Les parents, leurs valeurs, leurs combats. Les assignations d'identité, les dénis, les injonctions à saisir sa chance, à se comporter normalement. Et le chaos qui s'installe dans la vie de ce frère qui a ébranlé ses certitudes. Qu'est-ce qui n'a pas été dit, pas même pensé??
Au moment de la mort, le frère et la soeur avaient pour projet un livre : un conte qui montrait un enfant tapi dans l'ombre d'un monde secret. Les prémisses d'une histoire qui pourrait jeter les bases de celle-ci, l'histoire d'un enfant qui grandit dans un monde qui lui échappe.
Sauvage est celui qui se sauve est certainement le livre le plus intime de Veronika Mabardi. Après Les Cerfs et Peau de louve, elle nous offre une plongée dans son histoire familiale, dans l'intimité d'une fratrie plurielle.
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C'est l'histoire d'Henri Juel, un homme qui, à soixante ans, repart joyeusement à zéro. Après avoir posé le doigt au hasard sur une carte, il s'installe dans le village de Versol et s'invente de nouvelles habitudes. Au café, il rencontre les figures locales, dépeintes avec finesse : la tenancière, le maire, et surtout trois hommes dédaigneux qui débattent autour de cailloux aux formes rares glanés au fil de leurs déplacements. Juel souhaite ardemment intégrer leur «cercle» et se consacre alors à la collecte de cailloux remarquables.
Sous la plume espiègle de l'auteur, l'homme s'abandonne au jeu avec le sérieux des enfants. Les illustrations qui accompagnent le texte, telles les planches d'un ouvrage géologique, témoignent de cette exigence d'une collection bien faite.
Entre fiction et cabinet de curiosités, Le cercle est une promenade rythmée par les trouvailles. Une invitation à ouvrir grand les yeux et à transformer, par l'acuité du regard, l'ordinaire en merveilleux.
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Un texte comme un cri. Un cri de rage. De colère. D'injustice. Le cri d'un enfant meurtri, qui ose enfin s'exprimer plus de soixante ans après les faits. Douloureusement, Jean Marc Turine remonte le fil de sa mémoire et raconte ce qu'il a tant voulu oublier : les agressions sexuelles répétées, lorsqu'il était jeune garçon, par des membres du clergé. Le texte déroule les faits et navigue entre le récit factuel, cru, et l'émotion intense. Jean Marc Turine réussit à garder cet équilibre précaire, entre le recul nécessaire à l'écriture et la répugnance des souvenirs évoqués ; écoeurement, dégoût, colère ; les émotions remontent.
Depuis toujours, la force du travail de Jean Marc Turine réside dans sa capacité à dénoncer, sans relâche, les horreurs, les injustices, de donner la parole aux sans-voix, aux opprimés de la société. Après trente-cinq ans de travail acharné, de créations radiophoniques, de livres de résistance, il prend la parole pour lui-même et l'enfant qu'il était. Dénoncer les agressions perpétrées par des membres de l'église permet à son enfance meurtrie de trouver les mots de sa blessure.
L'importance de ce texte réside dans son honnêteté, il n'occulte rien, ni la part d'ombre, ni le déni, ni la difficile construction en tant qu'homme adulte. Au-delà de l'horreur, il éclaire également l'oeuvre littéraire d'un homme épris de justice.
Il est des sujets dont on essaie parfois d'oublier qu'ils existent, des souvenirs qu'on préférerait occulter. Mais ce qui s'est passé a existé, et libérer la parole est salvateur, essentiel. Les comportements abusifs sur des jeunes enfants et leurs dénonciations récentes provoquent des haut-le-coeur. La trame en est souvent un rapport d'autorité qui paralyse la victime en protégeant l'abuseur. Le témoignage permet alors, non pas de comprendre, mais simplement d'entendre. Lorsque celui-ci se double d'une écriture ayant la qualité de celle de Jean Marc Turine, le lecteur se laisse happer par ce cri du coeur, véritable claque qui remue et révolte.
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Peau de louve
Veronika Mabardi, Alexandra Duprez
- Esperluete
- En Toutes Lettres
- 7 Juin 2019
- 9782359841107
Peau de louve est un récit-conte, inspiré de la tradition ancestrale des contes oraux qui nous viennent des forêts profondes du Canada, de la selva d'Amérique Latine, ou plus simplement des Ardennes belges.
Peau de louve partage avec toutes ces histoires une idée vieille comme le monde : enfonce toi dans la forêt, une épreuve t'y attend, qui te transformera... À l'envie de conter s'ajoute le plaisir de jouer avec la forme, d'imposer un rythme qui structure la fable, réminiscences du répertoir poétique français. Une structure en alexandrins se dessine, pour le plus grand plaisir de l'auteur et du lecteur.
Peau de louve, c'est l'histoire de Muriel, jeune femme à la peau de lumière. Peau de louve, c'est l'histoire d'une réparation. Comment se reconstruire quand on a perdu l'image de soi, quand le monde, autour, n'est que malentendu et rapports de force, quand nos valeurs se retournent contre nous ? Que faire, quand on ne peut plus avancer et qu'on refuse de se laisser mourir ? Où retrouver le plaisir et la confiance dans le lien ?
Veronika Mabardi continue d'explorer les thèmes chers à son écriture :
La perte des mots et la parole qui guérit, le retour à la nature comme un passage après l'enfance, l'importance de se fier à son instinct.
Pour la quatrième fois, Alexandra Duprez l'accompagne de ses dessins. Leurs univers se croisent à merveille et une véritable connivence formelle se construit, entre elles deux, au ?l des livres et du temps.
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Mon temps, ma vie, se déroulaient à l'extérieur. À pied ou à vélo, je sillonnais la commune. Je connaissais tout un tas de monde. J'ignore ce qui plaisait en moi, mais je ne devais pas en faire beaucoup pour être accepté. On m'ouvrait les portes des foyers, les commerçants m'offraient des boissons, des tartines - je me souviens d'un quincaillier qui me courait littéralement après pour me prêter des outils, cela parce que j'avais évoqué l'idée de construire une cabane. En somme, j'avais le chic avec mes semblables, un don naturel.
De quoi serait fait un roman raconté à la première personne où le jeune narrateur ressemblerait comme deux gouttes d'eau à Thomas jeune ? Tout est inventé, et tout est vrai dans ce roman, nous dit Thomas Lavachery. Certains personnages ont un ou plusieurs modèles dans la réalité, d'autres sont de pures créations.
Notre narrateur se raconte dans le Bruxelles des années '70 et '80. Il fait revivre ses amitiés et ses inimitiés, tous milieux confondus. Le quartier du « Chat », le bistrot et l'épicerie du coin, la place du Jeu de Balle, la taverne du Tabellion... constituent le fil de trame du récit. Au sortir de l'enfance, l'horizon s'élargit et la ville devient un vaste terrain d'expériences.
La famille Deroo, la famille Flausse, les membres du club de boxe de la rue Cervantès, parmi lesquels l'ineffable Eddy Frissen, sont l'occasion d'une galerie de portraits dressés avec tendresse et humour. Mené par une plume sûre, le lecteur se laisse porter au gré des rencontres au sein du petit peuple bruxellois.
Le narrateur relate également son entrée dans l'écriture et ses débats avec la jeune et mystérieuse Anna Olt, première lectrice au regard intransigeant. Elle lui donnera l'impulsion nécessaire à coups d'aiguillon. Complicité et amour farouche seront les composantes de cette relation singulière, inoubliable.
Le roman de Thomas Lavachery puise sa force dans la proximité entretenue avec les personnages. Roman d'apprentissage, Le Netsuke nous plonge tout entiers «en adolescence». Le voyage est tantôt excitant, tantôt doux-amer. Nous savourons certaines sensations universelles qui remontent au temps où nous n'étions ni tout à fait nous-mêmes ni tout à fait différents. Car le voyage de Thomas Lavachery fut aussi le nôtre à un moment ou un autre, à Bruxelles ou ailleurs. -
Vous étiez ma maison
Violaine Lison, Manon Gignoux
- Esperluete
- En Toutes Lettres
- 16 Septembre 2022
- 9782359841596
Je suis entrée chez vous. Comme dans un terrier.
Je me souviens du feu dans l'âtre.
Vous.
Votre maison.
Votre allure de fée.
Une odeur de résine, de sauge et de plantain. Des bougies sur la table. Les flammes dans la cheminée. Des tissus, des tapis, des flacons. Un piano. Et des icônes de Marie.
Vous.
Votre douceur d'aïeule.
Et mon corps qui se dénoue un peu, qui replie griffes et crocs. Vous me regardez dans les yeux.
Vous me lisez. En creux. En silence. Au milieu.
Violaine Lison guide ses lecteurs comme au travers d'un conte. Une narratrice voyage des rues pavées de la ville aux sentiers sinueux des forêts, entre les arbres et les fougères, parmi bêtes et plantes.
Elle y croise une femme âgée, mi-fée, mi-sorcière, figure bienveillante qui rapièce et protège, joue du piano et de la machine à coudre.
Cette dernière invite la visiteuse à passer le seuil de sa maison, à s'entourer de ses objets, de ses odeurs, des ronronnements du chat et des craquements du feu de cheminée. Une relation dense se tisse entre les deux femmes. Les lundis deviennent leur rendez-vous régulier avec la forêt et la vieille machine à coudre. Les vêtements, comme des secondes peaux, sont réparés avec soin, les blessures cicatrisent et les coeurs s'allègent.
Votre maison appartient à la forêt. Il n'y a pas de frontière, pas de douane. Vous habitez les bois. Et les bois vous habitent. Des châtaigniers mangent à votre table. Votre potager a le pouls régulier d'un bocage.
Mais lorsque la maison se vide sans prévenir, c'est un terrible silence qui s'abat. Questions et doutes refont surface : vers qui se tourner quand les repères disparaissent, quand les lieux familiers deviennent lointains et que les gestes rassurants perdent leur sens?? Comment appréhender un tel héritage?? à nouveau la nature bienveillante sera le refuge...
L'écriture à fleur de peau de Violaine Lison nous emmène, au rythme des nuits et des chapitres, à nous perdre en forêt et à y découvrir des chemins, des clairières ou des cabanes, pour mieux s'y retrouver ou pour se construire un lieu à soi. -
Le peuple d'ici-bas : Christine Brisset, une femme ordinaire
Christine Van Acker
- Esperluete
- En Toutes Lettres
- 7 Octobre 2022
- 9782359841602
Au détour d'une promenade, Christine Van Acker découvre le Square Christine Brisset à Angers. Un nom d'abord, puis une femme et son histoire qui ne cessent de l'intriguer, de la poursuivre. Elle entame des recherches, fouille les archives de la Ville, interroge des proches. Plus elle en apprend sur la vie de Christine Brisset et son action sociale auprès des plus démunis, plus elle est fascinée, plus la réalité des taudis de l'après-guerre résonne avec la réalité des sans-abris du XXIe siècle.
Pionnière de l'action sociale, Christine Brisset a oeuvré pour reloger plus de 12 000 personnes, organisé quelques 800 squats, écrit d'innombrables lettres aux autorités, entrepris la construction des maisons Castors... Si les squats de maisons bourgeoises inoccupées sont la partie la plus spectaculaire de son action, la grande pauvreté est le noyau dur de sa révolte : celle-ci s'accompagne de combats contre l'illetrisme et pour l'accès aux soins de santé ; elle combat toutes les formes d'injustices liées au pouvoir ou à l'argent.
Ne pensez vous pas que nous qui n'avons pas faim, nous qui pouvons donner à nos enfants très largement le pain et les vacances, ne pensez-vous pas que nous qui sommes l'élite, nous pourrions peut-être oublier un moment notre cas particulier et apporter notre intelligence, notre science à essayer de voir ce qui ne va pas dans la grande machine ?
Christine Brisset était une femme entière et atypique, pétrie d'humanisme et de bon sens. Sa personnalité détonne, dérange et agace dans une France grise et bien-pensante des années cinquante et nous interpelle aujourd'hui. -
Ici, on est loin des paillettes, du bal, du prince charmant et de la vie de château où tout coule de source, où tout - l'argent?/?la gloire?/?l'amant évidemment parfait, la triade adulée des plus irréfléchies d'entre nous - où ce «?tout?» vous serait donné par le plus chanceux des hasards.
Il faut avoir pris un peu d'âge pour se rendre compte qu'un conte c'est l'histoire tourmentée de l'éveil d'une conscience peu à peu dépouillée de ses illusions, dont on finit par faire une belle et forte histoire de désir.
Un mouvement vers une alliance souple plutôt que vers l'acquisition stable d'un tout. Le chemin autant que le but. Le chemin et une certaine pratique de la marche devenant le but.
Les premiers mots du Cercueil de verre des frères Grimm, «?Que nul ne dise qu'un pauvre tailleur ne saurait aller loin et parvenir aux grands honneurs ! Il lui suffit de...?» suscitent l'étonnement de la conteuse : un conte, ça peut commencer par la morale?? ça peut encourager une poursuite de notoriété??
Ces questions amorcent une réflexion sur ce conte-là en particulier et les contes qui habitent notre imaginaire. Formes, codes, valeurs véhiculées, Myriam Mallié déroule sa pensée en mettant en scène une conversation entre deux conteuses.
En parallèle, il y a le conte, raconté, avec son rythme, ses silences, et tout ce qu'il contient en termes de messages, d'arrière-plans, de symboles et de poésie : la forêt, le chêne, le cerf, le frère et la soeur, la jeune fille endormie, l'inconnu maléfique, le tailleur qui cherche la lumière...
Et le récit glisse dans sa trame les questions de notre temps sur l'avidité, le pouvoir, la soif de reconnaissance, la place des femmes, la place que nous laissons à nos rêves qui se débattent inlassablement entre avoir et être.
Myriam Mallié plante les graines d'une réflexion globale sur l'imaginaire, la tradition des contes et l'importance du choix des mots. Lire un conte avec elle revient à en percer l'intelligence tout en glanant des clefs pour grandir.
Tout se tient dans ces histoires, dit-elle, de l'une à l'autre, on tourne autour des mêmes questions depuis toujours. -
L'histoire commence de manière plutôt ordinaire : une jeune fille s'apprête à vivre quelques mois au Brésil pendant ses études supérieures. Ses parents l'accompagnent pour découvrir le pays. Ce qui pourrait être le récit d'un voyage rythmé par les rencontres, la musique et la découverte d'un peuple va rapidement prendre une autre tournure...
C'est pas trop dangereux?? avaient-ils demandé à la patronne de l'auberge. Elle avait répondu, un peu vexée : Non, ici c'est pas comme à la ville, vous ne risquez rien, c'est tranquille. Je vais souvent me promener seule sur la plage le matin et je marche plusieurs kilomètres sans rencontrer personne. Nobody ! No risks !
Ils ne savaient pas s'ils devaient la croire car, dans son regard soudain oblique, ils avaient lu une hésitation affolée. Mais ils avaient décidé de lui faire confiance car ils en avaient envie, et ils avaient relâché leur vigilance.
La promenade tourne au drame lorsque le trio se retrouve face à deux bandits armés. Le temps s'accélère et semble pourtant s'arrêter, dans un double mouvement paradoxal propre aux instants décisifs. Ce qui se joue dans ces secondes est impalpable. Les pensées de chacun se déroulent : contradictions, peurs, désirs, instinct de survie sont convoqués.
Leur compréhension du monde et de ce qui se joue là, dans ce petit théâtre de fortune, va être mis à mal.
Elle se dit aussi, en pensant à mille autres choses à la fois, que c'est étrange de se faire agresser par ceux qu'on a toujours défendu, c'est vraiment trop con. Ces gamins se trompent de cibles, ils ne nous reconnaissent pas. Ils se fichent de notre compassion, de nos bonnes intentions et de nos grandes idées humanistes, ils n'y croient pas ; ils veulent du concret, tout de suite. On dirait que toutes les strates de la violence de l'histoire de ce pays, qui se répète à l'infini, se condensent en eux et s'inscrivent dans leurs corps, dans leurs gestes.
Le texte de Dominique Loreau est éminemment cinématographique : ambiance, sons, couleurs, regards... son écriture entraîne le lecteur au plus près de l'action. Le ton légèrement inquiétant de l'intrigue, la narration palpitante et le rythme du texte donnent à ce court roman des allures de thriller. Dominique Loreau nous entraîne avec elle et ne nous lâche plus jusqu'à la dernière page. Il est finalement question de rencontre, d'altérité, d'humanité, d'humilité, de vulnérabilité, de désespoir, d'injustice sociale... -
Mains d'herbes ; histoires d'un jardin japonais
Benoît Reiss
- Esperluete
- En Toutes Lettres
- 8 Novembre 2019
- 9782359841169
Je fais cette expérience, le nez collé contre le grillage du parc pour regarder le jardin de Madame Oda ; ce que j'ai sous les yeux est une véritable forêt, ses multiples espèces de plantes, de fleurs et d'arbustes, ses sous-bois, ses halliers, taillis, bosquets de hautes herbes, buissons, son sentier sous les arbres, ses pierres et rochers contre les troncs, enlacés aux racines, couverst de cette sorte de mousse d'un vert si foncé qu'il devient presque noir, marque de noblesse et de grande ancienneté ; le jardin n'a plus de clôture.
Le narrateur, français exilé au Japon, observe un jardin, celui de Madame Oda, qu'elle ouvre volontiers à ceux qui s'y intéressent et à ses amis « artistes ». Elle-même est entièrement tournée vers ce jardin qu'elle façonne un peu comme on élève un enfant, en lui donnant les impulsions nécessaires pour grandir, puis en lui faisant confiance.
Tout est retenue et plaisir dans ce texte où l'on glisse (car il semble que l'écriture nous guide en douceur) dans l'atmosphère de ce jardin japonais et de ses occupants, où « sous des aspects parfois anecdotiques, parmi les plaisanteries et les rires, [...] nous parlions de choses essentielles. »
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Au décès de son mari, Jeanne se désengourdit de ce temps de vie commune. Loin des cases dans lesquelles sa famille aimerait la voir, elle prend ses distances avec le monde, tout en y cherchant sa juste place. En compagnie de son amie Denise, elle entame un voyage à travers la France, à travers sa propre mémoire aussi. Oui, pourquoi pas voyager ? Elle vivra des paysages, des bêtes plus ou moins féroces au bord de la route, des rivières sombres ou claires, des rencontres sans lendemain, une station amoureuse à l'Hotel California, le brame du cerf... et pourtant elle ne conduit pas !
Il faut pour vivre sa vie un nombre incalculable d'accidents, pense Jeanne. Et pour cela, il faut faire mouvement.
Avec une écriture proche de l'observation, Joël Bastard signe ici un texte entre roman et récit, s'inscrivant dans une saga familiale qui mêle passé et présent, l'ici et l'ailleurs.
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Un gîte de vacances entre prairie et forêt, accueille au fil du récit différents vacanciers (familles, couples, habitués...). Rapidement, l'on perçoit que les rêves des uns côtoient les désillusions des autres...
Parce qu'entre les non-dits, les rêves avortés, les ambitions et les blessures anciennes, on ne rentre pas toujours dans les cases dans lesquelles les autres aimeraient nous voir. On se cherche ou se voile la face, on fait semblant, on trahit ou se trahit. Et malgré tout, chacun essaie de trouver sa place dans le monde même s'il est peuplé de rêves, de fantasmes ou de figures imaginaires.
Frédérique Dolphijn tisse un roman fait d'ensembles et de sous ensembles où les mots des uns semblent dits par les autres. Dans cet entrelac se construit, se défait et se reconstruit chaque personnage, sous le regard de l'Enfant, pierre angulaire du récit, qui semble le plus fragile mais sera sans doute le plus stable.
Ces histoires forment un tissu généreux, dans lequel le lecteur se laisse emporter. Les zones d'ombres s'éclaircissent petit à petit, certains mystères se laissent découvrir pendant que d'autres émergent. Frédérique Dolphijn signe ici un roman envoûtant, intriguant, où les intuitions et les rêves nous guident.
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Droit des entreprises d'assurance
Pierre Furlan, Olivier Sonck
- Esperluete
- En Toutes Lettres
- 21 Mars 2011
- 9782359840186
Paekakariki, en maori, évoque une perruche sur un perchoir ; il suffit de prononcer le mot pour entendre la perruche crier, nous appeler vers ce Pacifique Sud, et plus précisément, la Nouvelle-Zélande, où Pierre Furlan a situé ses trois nouvelles.
Dans Ma vie de boxeur, des hommes se jaugent sur un ring. Après son propre combat, un étudiant français expatrié observe un Pakéha (Néo- Zélandais d'origine européenne) se battre contre un Maori. Et le ring prend peu à peu un nouvel éclairage, se transforme en scène qui se charge de la douloureuse histoire de la colonisation.
Travail de nuit joue sur les fuseaux horaires. Le jour d'un côté de la Terre signifie la nuit de l'autre, à l'image d'un décalage qui reflète la vie et les travaux du traducteur qui anime ce récit. Pourtant, entre le monde apparemment hors du temps de l'île du Sud et la lointaine Europe, se tissent de nouveaux fils encore incertains qui arracheront le traducteur et le narrateur à leur solitude.
Et puis Paekakariki, ville et plage de l'île du Nord. Sous un soleil éblouissant, les couleurs se glissent hors de leurs contours habituels, signe de l'absence à lui-même et aux autres que le narrateur doit vaincre pour construire sa vie.
Poursuivant l'exploration des relations humaines dont il nous a déjà livré de forts témoignages dans ses ouvrages précédents, Pierre Furlan donne à sa recherche une dimension universelle grâce à la profonde empathie qu'il exprime pour ses personnages.
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Vivre (si vous sauriez comme j'avions)
Jean-Marc Turine
- Esperluete
- En Toutes Lettres
- 5 Juin 2020
- 9782359841244
Quatre textes sont ici réunis, écrits - ou recueillis - à des époques très différentes. Ils ont en commun d'évoquer des jeunesses vécues dans des géographies sans frontières communes. Des jeunesses étrangères les unes aux autres. Des jeunesses vécues dans une solitude tragique, désespérément inhumaine. Et en cela, elles peuvent se reconnaître. Des jeunesses, par leur proximité, ici, rassemblées, peuvent enfin se lire les yeux dans les yeux.
S'entendre, s'accueillir, je le souhaite, les mains ouvertes dans une empathie d'amitié fraternelle. Moi, Joseph Spira recueille le témoignage d'un rescapé des camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale. Un témoignage de ce qu'est survivre à l'innommable. Un Gaucher dit, avec les mots simples d'un homme-soldat que les événements dépasse, la violence, la déroute et l'impossible reconstruction vécue en Indochine.
Brûlures porte avec empathie la voix des victimes, le plus souvent sur plusieurs générations, des bombardements de dioxine au Viêt Nam. Les Chants d'Anjouan porte la trace d'une enfance heureuse qui ne peut se prolonger face à l'injustice sociale et économique et la misère sur les îles Comores. Des témoignages essentiels, percutants, nécessaires dont Jean Marc Turine se fait le porte-parole et qui viennent enrichir la mémoire collective.
Une écriture portée et habitée par chaque sujet pour transmettre et dire la pulsion nécessaire de la vie.
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La nostalgie de l'aile
Pascal Goffaux, Laurent Quillet
- Esperluete
- En Toutes Lettres
- 22 Octobre 2021
- 9782359841435
Voici l'histoire d'une non-histoire, celle d'un homme qui aurait pre´fe´re´ ne pas e^tre. A uble´ d'un corps qui n'a pour lui que peu de re´alite´, il peut sans di culte´ exister a` co^te´ de son enveloppe charnelle. Il devient alors observateur de sa propre identite´ et revient a` la source, celle de son enfance. Une enfance marque´e par un double manque : la relation avec un fre`re ai^ne´ qui habitait sous le me^me toit, mais qui e´tait exclu du noyau familial, et la pre´sence-absence d'un troisie`me enfant dont il occupe la place dans l'imaginaire familial. En grandissant, il recherche le fre`re manquant. Il l'a de´couvert jeune adulte en la personne d'un e´tudiant qui semblait exister a` sa place. Cet Uriel moderne, archange solaire, ne t qu'accentuer la solitude mortelle cause´e par l'e acement de sa personne. Une seconde rencontre, celle d'un chanteur tout aussi ange´lique, creuse cette disparition de soi comme programme´e de`s l'enfance Ce re´cit d'une construction malgre´ soi, traverse´ par une nostalgie sans fond, tempe´re´ par la pre´sence bienveillante de la famille actuelle du narrateur et par la re´ve´lation de la radio - ou` le son prend la place du corps - emme`ne le lecteur dans un univers a` l'e´criture singulie`re et sensible. Une expe´rience de lecture proche de l'apne´e ou` Pascal Go aux nous emme`ne dans l'intimite´ de son enfance, avec un humour noir, mordant, a` la limite de l'autosabotage. Laurent Quillet explore cette non-pre´sence au monde dans un travail d'e acement volontaire de sa personne sur d'anciennes photos de famille. Les univers de ces deux hommes se rejoignent et se re´pondent. Dans leur démarche d'absence et de retrait du monde, ils ont trouvé leur alter ego.
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Août 1963, café Le Central. Du haut de ses quatorze ans, Élisabeth n'est plus tout à fait une enfant, mais pas encore une femme. Sous la table où elle se réfugie après l'enterrement de son amie Thérèse, dans une France provinciale faite de conventions et de non-dits et où la guerre n'est pas si loin, elle écoute les adultes discuter entre eux. Elle écoute et se souvient. Des moments passés avec Thérèse, de sa relation avec sa mère, de ce qu'elle n'a pas su voir ou de ce qu'elle croit comprendre. Dans son esprit se croisent pensées et bribes des conversations du café, entrecoupées de sa lecture du journal intime d'Henriette, toute jeune fille à l'été 1939.
Voix et temps s'entrelacent alors et tissent ensemble le récit d'une transmission.
Ce qui lie ces trois personnages féminins - Élisabeth, Thérèse et Henriette - nous est révélé petit à petit. Sur fond de guerre et de collaboration, de conformisme et de violence sociale, les petites et grandes trahisons des adultes se confrontent à l'élan de vie des jeunes filles.
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Quelques pas de côté
Dominique Loreau, Charley Case
- Esperluete
- En Toutes Lettres
- 5 Juin 2020
- 9782359841268
Un ton décalé, un regard amusé, une vraie empathie pour le vivant.
Dominique Loreau décrit l'envahissement progressif de notre univers par de minuscules crabes.
Pour cette parabole moderne, elle s'inspire d'un fait divers réel : de retour d'un voyage commercial en Chine, un bateau importe accidentellement des larves de crabes qui se développent à l'insu de tous. Ces crabes clandestins provoquent des dysfonctionnements mais aussi intérêt et répulsion chez les humains...
Un récit métaphorique.