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Le sentiment de l'exil est un des plus forts qu'on puisse éprouver. Il change le bonheur en mélancolie, les victoires en doutes et les chagrins en répétition. Il accompagne nos travaux, nos voyages, nos amours, nos relations et leur fait prendre une couleur fictive. Il transforme le présent en futur du passé. Le sentiment aigu d'être toujours dans la distance, de ne se sentir en phase avec aucune durée, est compatible avec un instinct de bonheur, une sorte d'animalité de l'esprit. En même temps, ce décalage est propice aux émotions nues. Tout naît de cette dépossession, source de plaisir et de perte à la fois. Elle renouvelle le sens du danger, les joies sèches de la route, les moments d'énergie, les longues périodes d'oubli de soi-même, et les transforme, contre toute attente, en souvenirs miraculeux. Peut-être que l'exil est une des voies d'accès à l'imaginaire poétique. Ou peut-être est-ce simplement un autre nom pour dire la poésie. La poésie invente, ou explore, un monde différent du nôtre : il lui ressemble, c'est la même planète, les mêmes arbres, les mêmes visages. Mais dans le monde jumeau, on éprouve qu'il est possible de vivre. C'est pourquoi l'amour y est si présent. L'exil et la fin de l'exil se trouvent donc en miroir, dans ce carnet qu'on emporte partout avec soi, ce regard en arrière qui recrée soudain l'unité des images perdues et des pensées promises au bûcher. Mers intérieures est un ouvrage aux contours multiples, une forme totalisante qui englobe vers et prose, poésie, narration et méditation, pour évoquer à la fois la peur de vivre et la joie de créer.
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Ce recueil tente de marquer une certaine inadéquation de l'être au monde. Inadaptés au lieu, inaptes à l'autre et séquestrés dans la parole qui est le bruissement de notre espèce.
C'est aller nus dans le noir.
Reste le poème.
Pas le vent de ce qu'on voulait dire, mais la nécessité des failles que les mots maintiennent béantes et du silence auquel ils exhortent.
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Ce nouveau livre de poésie de Corinne Hoex convoque la figure du vent, figure sans repos qui nous enfonce dans l'impression d'un vide inaliénable qui ne nous trompe pas au sujet de l'univers poétique que nous révèle ce titre, Uzès ou nulle part : tout ce qui demeure hors d'atteinte, tous ces paysages intérieurs, sont rejoints, touchés. Et ce serait une profonde erreur que de croire y découvrir quelque légèreté après y avoir identifié une telle obstination à tâter le fond de l'existence pour approcher au plus près ces lieux où aucune paix n'est jamais acquise. Au-delà de l'expérience singulière, cette parole poétique resserrée comme nulle autre, désigne un dénuement extrême, comme elle montre cette fragilité secrète épousant les limites de l'expression, et où se joue la présence de ce qui s'est absenté, où se découvre un quotidien épuré de ses strates inutiles afin d'atteindre le plus démuni qui est aussi chez elle le plus dense, là où l'autre se trouve désormais : nous nous offrirons / l'un à l'autre / de beaux moments / de manque, écrit-elle. Ce sont les coups et blessures qui s'y dissimulent, que l'on pouvait croire un instant égarés ; et qui reviennent avec une précision de la langue, de l'expression, celle d'une passion qui embrasse le vent. Quelque chose d'une urgence, d'une brûlure traverse ce livre exceptionnel.
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Ouvrage du récif est le premier livre de poésie d'Anne-Sophie Lancelin. Nourri d'une expérience exceptionnelle de l'expression corporelle à travers la danse et la musique, il fait faisant ainsi retour au plus vif de la vie, au plus sensible, à cette énigme qu'est le corps, en portant une attention de tous les instants, mais comme pour atteindre à l'impersonnel à partir du plus intime. C'est qu'un corps se cherche comme une âme. Dans un présent qui ravit au temps ses lois et ses emprises, le trajet de l'oeil, le songe, la marche, jour et nuit et, comme un rappel à soi, l'enfance, font barrière à ce qui dénature, ouvrent l'instant où se jouent les possibles et la matière d'où naissent les images. Les poèmes oscillent entre les éléments d'une narration et le vertige de la perte du lieu où se joue ce qui est dit. Le récif abrite, protège, s'étend, branches vives et mortes en forment le squelette. Il est un champ d'introversion, où les visions qui en émergent sont les voies d'accès à de véritables souvenirs : Ce qui vient de nous par surprise / vient sûrement d'ailleurs et ce qui sauve / s'est ouvert au danger sauf que // la promesse n'est pas redevable / le corps, un dernier recoin.
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Ce livre s'ancre dans la poésie en s'ouvrant sur la rencontre entre deux univers, l'univers musical et mental de Serge Gainsbourg, et l'univers secret de Bambou.
Il s'agit d'une fiction poétique autour de ce tandem Serge Gainsbourg-Bambou qui entend moins apporter une pierre de plus au mythe Gainsbourg qu'interroger de façon intimiste les zones de résonance entre deux êtres tendus vers l'extrême. Il n'est point question d'une traversée de l'oeuvre de Gainsbourg mais d'une traversée de son rapport au verbe, aux femmes, à la mort.
Le second volet de ce livre offre une suite poétique où l'auteure explore des contraintes de diverses natures - phonétique, syntaxique, stylistique... -, la règle de base importe moins que le bougé qu'elle produit dans l'ensemble du texte. C'est dès lors l'écart qu'elle catalyse à l'intérieur même du récit, les mouvements centrifuges et les effets déstabilisateurs qu'elle induit. Toucher aux conventions par l'inoculation d'une règle altère le poids d'évidence que nous conférons aux premières et dégage le geste constructiviste dont elles sont les retombées. C'est ainsi que l'adoption d'une contrainte déséquilibre le corpus de règles instituées, que l'adjonction d'une loi libère l'aléatoire. Le recours au lipogramme, à l'homophonie... vaut par la redistribution des paysages qu'il provoque. Les opérations de soustraction ou de prolifération de lettres, le transfert de procédés extra-littéraires dans le champ de l'écrit que ce recueil met en oeuvre ne ressortissent donc pas à l'esprit de formalisation, à son seul souci d'explorer les instruments dont il dispose. Il n'est, en effet, de jeu sur la structure qui ne soit un jeu sur l'événement. Il n'est d'intervention sur les codes de base qui ne soit ébranlement de l'agencement en son ensemble.
Il se dégage de cet ensemble une sensualité peut commune et qui ne s'enferme pas dans des formules : nous controns l'avancée des souffles de l'enfance / par une danse nuptiale / sexe contre sexe.
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Ce nouveau livre de poésie de Serge Meurant se décline en six suites formant un tout cohérent. Sous ce titre, Empreintes, nous pouvons aussi bien lire, dès l'ouverture, les moulages de la vie, déceler leurs lignes de forces, celles des résistances ouvertes sur cette confrontation manifeste aux angles morts du vivant, en évitant de s'enfermer dans quelque nostalgie.
Ces suites, tout en délicatesse, témoignent aussi bien de ce qui, du monde, affleure, comme de ce qui, de l'autre rencontré et tenu au plus près de soi, peu à peu s'écarte, tout en retenant cependant la trace, tel le froissement de l'invisible pareil à un drap qu'on déplie, pour reprendre les vers de l'un de ses poèmes.
Ainsi se rattache-t-il à la mémoire comme à la conscience de temps qu'elle rappelle à chaque instant. Les mots sont ajustés les uns aux autres avec une extrême précision, selon une langue magnifiquement maîtrisée, à la fois simple et complexe. L'auteur nous offre chaque fois un miroir à plusieurs faces où les figures évoquées relancent la subjectivité qui les porte.
Dès lors, cette poésie n'hésite pas à afficher un caractère personnel. Soutenue par une puissance d'évocation singulière, originale, elle condense des moments d'existence dans lesquels le lecteur peut parfaitement s'introduire afin de partager l'expérience saisie et ravivée par une langue poétique, dépouillée, elle attrape et retient jusqu'à bouleverser.
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Le titre de ce dernier livre du poète Harry Szpilmann peut avoir de quoi étonner le lecteur. Pourtant le terme Fulgor nous est familier sous bien d'autres désignations. S'il signifie éclat ou même splendeur, selon son étymologie latine, il ne laisse pas de doute sur ce que le mot figure lorsqu'il est associé à la signification d'éclat fulgurant, celui de l'éclair. Ce livre composé de textes poétiques courts atteint cette fulgurance de la parole attachée de près à la recherche de l'extrême concentration nécessaire à son expression. Il témoigne comme nul autre d'un travail qui s'opère sur l'usage le plus précis de la langue, lequel devient un véritable travail sur soi-même puisque c'est toute l'expérience de la vie qui s'y trouve approchée, interrogé en quelque sorte. Dans les tous premiers textes du livre, on peut lire ce fragment, dont on peut dire qu'il synthétise ce ton unique que le lecteur est appelé à ressaisir et à s'imprégner tout au long de cette suite poétique : Tout ce que jusqu'alors tu t'imagines avoir conquis : mirages et pâtures de néant. La foudre appelle, mais la flamme est devant. Ainsi l'ensemble de cette suite s'affirme avec force comme un tout, rivé à une économie maximale du déroulé de la parole en s'approchant de la prose sans ne jamais y céder, sans ne jamais s'y enfermer. De ce fait, cette parole à très haute densité poétique ne quitte plus le terrain de la pensée en un tissage entre prose et poésie qui s'impose à chaque moment de son expression. Alors que cette dernière se voit traversée de doutes permanents. Chaque séquence paraît toujours confrontée à l'indétermination de ses relevés, si ce n'est du fait que la vie n'offre pas de but donné d'avance, seulement des chemins à parcourir puisqu'elle est déjà à la poursuite de chemins qui ne peuvent se tracer qu'à chaque avancée. Cette voie poétique ne se décline pas au singulier mais bien à chacun de ses instants au pluriel : ... rien ne s'inscrit sur ta route que l'oppressante opacité de cette blessure sans fond. Plus qu'à simplement lire, ce livre, parce qu'il ralenti la lecture est un livre à méditer, car la langue atteint une profondeur exceptionnelle appelée à interroger le lecteur, tout lecteur : Toi que vivre écartèle et çà et là éblouit, de quelle blessure, de quelle brûlure ton souffle tire-t-il sa légitimité ?
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Les rudérales sont des plantes qui poussent en toute liberté sur les terrains en friche, sur les bords des chemins ou dans la proximité de l'habitat humain. Et telle apparaît la parole poétique de Harry Szpilmann, singulière autant que remarquable par la lucidité dont elle fait preuve et la liberté d'expression qu'elle s'autorise. Le monde des Rudérales se construit en réponse à une attente toujours fragile et indécidable, à l'étonnement face à ce qui se montre, la rencontre du réel, sa morsure. C'est toute la présence de l'expérience sensible qui se trouve mobilisée, cependant que cette profusion du regard se double d'une réflexion sur le livre en train de se faire et les possibilités de l'écriture poétique, sa puissance et sa précarité. Pour autant, aussi attentive soit-elle aux ressorts de la parole et à leur soubassement de silence, la poésie d'Harry Szpilmann n'a rien d'un simple jeu formel. Elle se maintient coûte que coûte sur le fil d'une interrogation inquiète, pointant les désastres approchés par l'image, par l'imaginaire, afin de ramener à soi la matière improbable qui insuffle au poème sa chair et son tracé.
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L'Arbre en chemin s'inscrit dans le sillage de Parenthèses, paru voici deux ans. Dans cette suite alternant poèmes en vers et en prose, il semble que Philippe Jones condense en quelques pages aussi denses que limpides l'expérience de toute une vie en poésie. L'arbre occupe depuis toujours une place privilégiée dans l'imaginaire de l'auteur. Le revoici tel qu'en lui-même, campé dans sa matérialité d'arbre, mais simultanément envisagé dans toutes ses connotations symboliques, et enfin comme une métaphore de l'écriture poétique (« un arbre s'enracine / et se forge l'image »). À l'instar d'un arbre, le livre progresse en se ramifiant, évoquant tour à tour le rapport du poète au monde sensible, la femme, l'amour et le couple (ces deux êtres qui n'en font qu'un), les éléments essentiels d'un paysage intérieur - avant de se clore par le rappel discret d'un épisode tragique fondateur de la vie de l'auteur. La dédicace ouvrant le livre s'éclaire alors, et l'on comprend in fine que ce livre dessine aussi un autoportrait en creux.
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Comme son titre, "Ulysse Lumumba", l'indique peut-être, ce livre mêle l'histoire, proprement historique, d'un homme politique congolais nommé Patrice Émery Lumumba et la légende grecque (et donc occidentale) d'Ulysse, telle que nous l'a rapportée Homère. Il invente pour ce faire une forme hybride et inclassable, mariant la prose et la poésie, le récit, la fable et la méditation, le lyrisme et l'humour, le pastiche, le détournement référentiel et le brassage intertextuel où Dante et Rimbaud rencontrent Aimé Césaire.
Un tel foisonnement permet à Laurent Demoulin de multiplier les points de vue, de déconstruire en finesse et sans angélisme le regard occidental sur l'Afrique - non sans interroger au passage sa propre position d'auteur ; mais aussi de croiser et faire dialoguer les traditions culturelles africaine et européenne. En filigrane, une question : que faire, lorsqu'on est d'une génération ayant grandi au tournant des années 1960-1970 dans une Belgique encore prospère et tranquillement assise sur ses certitudes, avec le passé colonial du pays ; comment vivre aujourd'hui avec "ça" ?
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"Contre Jour" est un livre bref, d'une économie d'autant plus étonnante que son auteure parvient à condenser en quelques mots tout un univers de sensations qui sont dans un premier temps construites autour de couleurs et de formes et où les lieux minimalement évoqués sont présents à la manière d'une énigme. C'est alors sur un tout autre plan que se découvre la profondeur de cette écriture poétique d'une grande sobriété. Ce sont les effets d'étrangeté que porte cette écriture, c'est le sentiment de vertige qu'elle produit chez le lecteur qui retient immédiatement l'attention. Comme s'il s'agissait de lever un secret auquel nous ne pourrons pas accéder, mais qui se présente sous les aspects d'une obsession poursuivie avec obstination. Et c'est tout autant l'évocation du processus de la création picturale qui agit comme un palimpseste, à travers les rythmes de la voix. Et c'est une interrogation plus large sur le destin de l'être qui se découvre à travers les gestes et les rêves approchés, une manière d'aller à l'essentiel de la condition humaine sans aucun pathos, mais avec une densité et une justesse qui entame le réel, ce à quoi nous sommes toujours confrontés.
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"Malfeu" est la traduction française de "Wanvuur", paru en néerlandais en 2008.
Dans cette suite de poèmes en prose, Bart Vonck cherche à pénétrer les mondes multiples, souvent aléatoires, de la vie quotidienne afin de les rejoindre jusque dans l'infime détail. Chaque poème déplace notre regard pour mieux faire voir ce qui généralement se dérobe à notre attention, comme pour nous faire prendre conscience de l'étrangeté du monde qui nous entoure. C'est ainsi que "l'oeil étranger", comme il l'écrit - c'est-à-dire le regard constamment à l'affût qui se tient néanmoins à bonne distance pour ne pas se laisser submerger par les plates évidences -, nous révèle la plus grande clarté des choses et de la vie, puisque "ce qui reste étranger peut seul être appris". C'est ainsi qu'il s'invite comme il convie le lecteur à "s'éloigner au plus vite des chemins préférés des voyageurs". C'est ce "monde réel" qu'il tente de saisir au plus près, dans sa "densité des plus concrètes".
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Ces Leçons de ténèbres de Corinne Hoex ont ceci de singulier : ils sont une leçon de poésie indissociable d'une leçon de vie, c'est-à-dire, une leçon de lucidité qui sait rejoindre et atteindre l'autre.
Dans une langue poétique très maîtrisée, l'auteur habite au plus près sa voix pour nous faire partager ce qui échappe trop souvent à notre attention. Ainsi chaque poème respire, tient son propre souffle, inscrit sa solitude, celle d'une indivisible et humaine condition.
Des textes brefs, d'une étonnante densité, composent ce livre. On le sait, les Leçons de ténèbres appartiennent à l'histoire de la musique liturgique depuis la Renaissance et l'époque baroque. Chez Corinne Hoex, une distance nécessaire est prise puisque nous sommes à la fois loin et cependant près des compositions musicales de Carlo Gesualdo, cette légende noire. Mais aussi de Marc-Antoine Charpentier et autres François Couperin. Ce titre, Leçons de ténèbres, que tous auront servi, connaîtra une longue descendance, au point de venir se prolonger dans ce que l'on tient pour le plus contemporain. Ces leçons auront été des leçons de solitude, d'abord, d'une farouche splendeur. Chez Corinne Hoex, chaque mouvement des cinq suites poétiques qui composent ce livre inscrit notre monde et la conscience que nous en prenons en son état présent, en ce présent éternel, consignant l'évocation de cette condition humaine qui aura traversé toutes les époques. Le chant qui les porte renonce à toute complaisance. Ainsi écrit-elle en ouverture de ces suites : Nous devons être perdu / Pour chanter.
Ces textes parlent, nous parlent, comme rarement. Ce livre ne fait songer à aucun autre livre de poésie. Car cette poésie nous éclaire sans jamais perdre ce qu'elle recèle d'énigmatique.
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En perte, délicieusement est, après Malfeu, le second livre de poésie traduit en langue française de cet auteur néerlandophone dont on peut dire déjà que la traduction relève de la plus haute tenue, saisissante même, si ce n'est par la maîtrise des éléments qui circulent d'une langue à l'autre. Ce livre, par son effet de longue portée qui tient à l'ampleur de ce qu'il explore, est appelé à faire événement, au moins dans les milieux poétiques. Cette écriture n'a rien d'une promenade laissée au hasard. L'auteur déploie une langue poétique avec une rigueur et une lucidité qui ne l'engagent pas moins à chaque instant sur cette voie où l'évocation de l'expérience de vie en sa dimension sensible, en sa venue, en ses battements et ses impulsions autant que ses élans, s'accorde à la puissance des formes de son expression sous les coulées de la conscience de soi. Une perspective sensible où tout concourt à sa constitution, y compris à son moment réflexif où est mis en jeu toute la mémoire, avec ses manques et ses oublis, celle du corps, celle de toute expérience conquise, y compris poétique. Cette poésie n'a absolument pas renoncé à la beauté. Mais non une beauté de forme et de surface, de jeu de langue, mais celle, au-delà du plaisant, d'un savoir intuitif en tant que plaisir, mais un plaisir qui engage toutes les dimensions de l'être, mettant en jeu encore une fois tout le corps, avec tous ses désirs, toutes ses blessures, dont la poésie est issue, et tous ses appels. Ce vers ne laisse pas de doute à ce sujet : Et de s'y être également écorché, / l'invité, l'intrus, celui qui ne soufflait mot. Elle s'attache à faire voir, à faire entendre et à faire sentir la profondeur de l'expérience humaine, ses enjeux et ses vérités. Déjà les premiers vers nous placent dans ces contours et échappées : Ce qui toujours a commencé à notre place / sans ressortir à aucune époque... Ou encore : Il nous faut faire avec ce qui a péri / et demeure... Un livre à lire et à méditer.
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Chaque poésie est tenue pour singulière, soit. Cependant certaine parole poétique se distingue par une capacité d'attention telle, par une force de rayonnement à ce point irrépressible, à partir de circonstances souvent au plus près du quotidien, au plus proche de l'expérience sensible, comme pour faire face à l'inattendu, à l'imprévisible, parfois pour témoigner du presque rien ; mais un presque rien si considérable qu'il bouleverse tout le rapport que l'on entretien avec le monde qui nous entoure, qui nous habite, que nous respirons, et qui respire en nous. C'est que la perspective qu'une telle poésie développe et engage cherche l'adresse de l'autre, du lecteur, pour le rejoindre et le toucher. Sans quoi la parole poétique est vouée à tourner sur elle-même. La poésie de Soline de Laveleye évoque cette nature du quotidien si insistante, tout ce « ronronnement des choses », selon ses propres termes, comme pour se maintenir en elle, en cette réalité qu'elle ressaisit par les mots, par la parole poétique, permettant ainsi d'accéder aux pulsations du corps, inséparables en ses textes de l'imagination et de la pensée. Celles des sensations tout autant, et celle de l'espace en sa clarté comme de ses obscurités, non moins. Une manière, et peut-être la seule, de « rendre le monde visible », pour le saisir ; et au milieu de chantiers en action, pour y ajouter. Alors que chez cette auteure aucune complaisance n'est épargnée face au monde à « apprivoiser » et tel qu'il va ; face à ses dérives ressenties dans les plus infimes moments de l'existence. Cette poésie impulse une dimension critique, un regard à distance, un recul nécessaire à notre acuité, à cette lucidité qui nous est devenue indispensable pour ne pas dire, essentielle, pour vivre à l'époque nôtre.
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Génèses et magmas Tome 2 ; à la façon de la phalène
Harry Szpilmann
- Cormier
- 25 Février 2020
- 9782875980212
Dans la foulée de son livre précédent intitulé Genèses et magmas I, Harry Szpilmann développe dans ce second volume, en reprenant et prolongeant le titre du premier, sa réflexion, cette fois, sous la forme de fragments. Il propose à ses lecteurs une véritable poétique où l'expérience existentielle est relayée par celle d'une pensée qui vient soutenir et éclairer le processus de création, afin de motiver et de fonder sa poétique, en ouvrant, et en élargissant les domaines explorés dans ses suites poétiques proprement dites. A ce titre, le lyrisme sans pathos de Harry Szpilmann comporte une dimension critique qu'il paraît impossible de dissocier de sa démarche poétique. Cette dimension critique, nous le savons plus que jamais, est présente dans les diverses démarches poétiques chez les meilleurs poètes de la modernité. Elle parvient à établir des liens multiples, féconds, réciproques, voire même indissociables, entre la création poétique et la pensée qui l'habite. Et ce registre singulier trouve une forme exemplaire dans toute l'oeuvre de ce poète si actuel. Certes il s'agit d'une autre manière d'interroger le monde et la vie en interrogeant le poème lui-même, et tout ce qui nourrit le poème par la même occasion. Et en interrogeant le poème, c'est tout le réel qui se trouve pris dans ses filets : « Le réel étant matière intensive inachevée, écrit-il, la Parole qui s'en soucie et s'y attache, nécessairement se verra remisée en l'Ouvert - intangible séjour où les puissances intensives se recoupent et s'enchevêtrent, illimitées, se mêlent et se confondent et se fondent, et où le Dire se déployant ne le pourra qu'en affleurements, qu'en suggestions, ou en balbutiement ». Ce qui fait de la poésie, pour l'auteur de ces fragments, « notre plus sûre et notre plus exigeante alliée... ».
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Dès l'ouverture de ce livre, qui est aussi le premier recueil de poésie d'Élodie Simon, le lecteur est immédiatement ébloui par l'inventivité de sa syntaxe, par l'éclat de son lexique, et par l'acuité de sa perception des choses et des événements. D'autant qu'elle refuse d'attribuer d'avance le sens de ce qu'elle approche et cherche à rendre par la parole poétique. Ainsi prend forme une véritable passion pour l'évocation des sensations relevant de la perception du fait de notre simple présence aux lieux, à ce qui les compose et nous les rend quelque peu familiers, là où brûle le feu jamais apaisé de la perception sensible. Cette parole poétique n'hésite pas à se déplacer sur plusieurs terrains à la fois, et simultanément. Le sens de l'étrange dont elle fait preuve se rend disponible à tout événement. Souvent la saisie de ces événements conduit à l'évocation discrète de ce qui remonte de l'enfance, pour ne prendre que cet exemple. Et c'est toute l'expérience individuelle qui se transcende, pour atteindre dans ses assemblages si singuliers une intensité émotionnelle sans ne jamais céder sur cette attention continue et approfondie de la réalité. C'est comme si rien n'échappait à sa mémoire immédiate, au point que les similitudes, les différences et les répétitions dont est faite l'expérience propre de la vie, parviennent à nous faire entendre les mots dans leur nudité où sous les habits d'une fraîcheur retrouvée. Ainsi cette poésie témoigne d'une mutation du regard que nous portons sur le monde, sur l'accélération des bouleversements qui en définissent les singularités toutes actuelles. C'est le constat qui peut être fait de ce qui transforme le sensible, ici porté à la langue poétique. Il suffit, pour prendre la mesure des changements de perspective que l'auteure propose sans l'air d'y toucher de lire ce passage pour s'en rendre compte : de dédales en rameaux / d'errances en gestations / surgi d'imprévus modelages / il habite un lieu / où les traits ne cessent. Cette poésie porte en elle ce refus incessant de prendre retard sur la vie.
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Publié chez l'éditeur newyorkais Living Hand en 1976 à l'initiative de Paul Auster et Lydia Davis, ce livre de poésie de l'auteure américaine nous est proposé ici dans une traduction française que l'on doit au poète Mathieu Nuss. Celui-ci fait remarquer à juste titre dès l'ouverture de sa préface « que cette poésie s'inscrit à total contre-courant de ce qui nous parvient d'outre Atlantique depuis plusieurs décennies ». Il semble nécessaire de savoir que Sarah Plimpton est tout autant artiste plasticienne fort reconnue, d'où l'importance de la perception au coeur de ses textes. Poésie de la vision, chaque poème est un appel à voir puisque rien ne nous est caché, au premier abord du moins, bien qu'il s'agît toujours pour le poète de dévoiler le réel et tout ce qu'il porte d'inconnu. Ces moments, ces instant évoqués, reconstruits par le langage, par la parole poétique, prennent la forme de poèmes souvent brefs, à la composition précise, rigoureuse. Ils éveillent chez le lecteur des sentiments vifs d'être lié au plus près des choses et des êtres, au plus près des mouvements du corps, marquant ainsi notre enracinement dans la lumière du jour. Le monde qu'elle évoque en son menu détail nous devient familier. Comme le remarque si bien son traducteur : « Nouveauté et troubles que le poème suscite, toujours stimulant, parce que dans leur fragilité et instantanéité, et dans leur instantanéité et invincibilité, chaque fois ils semble dessiner (ou peindre) ce qu'il y a de plus urgent en poésie. Le poème est sans cesse en phase de transition... ». Une manière décisive, pourrait-on dire, de témoigner de l'état toujours mobile de la vision et de ce qu'elle tente d'approcher et qui tient à l'infini variété du vivant. Un texte à lire qui déroge des canons habituels et des préjugés bien ancrés au sujet de la poésie américaine contemporaine.
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Les îles sont fertiles en aventures. Elles font scintiller les facettes d'une existence sortie de ses gonds - voyages, rencontres, pièges, amours, périls. Elles combinent au grand jour le voir et le non-voir. Elles permettent de faire le tour du monde sans perdre le fil.
Malte, Porquerolles, Belle-Île, Manhattan, la Sicile, les Cyclades et tant d'autres, viennent coexister avec les terres intérieures, dans une exploration méthodique de l'enchantement insulaire.
À travers cette suite d'escales dans les îles de la mémoire, le livre nous fait découvrir l'existence d'un royaume dont l'invention remonte à l'enfance. Nous retrouvons ainsi la fonction première des îles : l'expérience du bonheur et la vision de l'infini à portée de la main.
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Ce nouveau livre de poésie d'Alain Andreucci, poète discret et profond, et d'une exceptionnelle puissance expressive, emporte le lecteur à la fois par l'originalité et par la présence sensible de ce dont il se saisie à travers la parole poétique. Le poète Yves Bonnefoy aura eu l'occasion de se pencher sur cette poésie lorsqu'il la découvre, et ses propos nous permettent d'apprécier l'importance que cette oeuvre recouvre. Voici ce qu'il en dit : « Et comment lire à travers ces pages ? Comme on écoute la musique, - une certaine musique. Puisque les mots d'Alain Andreucci ne sont pas retenus par leur définition lexicale, puisqu'une indétermination essentielle les fait se retirer de la référence qu'on peut y percevoir, quitte à la renflammer un instant plus loin ; puisqu'ils ne sont ainsi que des évocations partielles, ne donnant à voir que de façon fugitive, les phrases qu'ils constituent, ces poèmes, sont bien un peu comme celles de la musique, par la grâce desquelles il est possible d'entrevoir des objets ou du sentiment, mais en tant que présences plus que figures. On écoute ces poèmes, on écoute à travers eux, c'est en cette écoute que cette réalité se profile, soit par son apparaître comme nature, soit comme fait proprement humain, pulsions, obsessions, passions dont, telle la musique, elle dit l'unité avec le monde physique. » Et il ajoute : « À le lire j'en suis venu à penser que la pratique poétique de l'Occident, écriture et vie à la fois, pourrait s'ouvrir à d'autres recherches que celles qu'elle a remarquées en ce siècle au dehors de sa propre tradition. Nous l'avons vu depuis les années 50 s'intéresser à la poésie d'Extrême-Orient, beaucoup de poètes ont tenté d'intérioriser les intuitions du haïku à leur écriture, mais il serait bien qu'elle écoute d'autres paroles, d'autres musiques, pour une expérience non plus de l'illusoire et du vide mais du temps vécu, pleinement vécu, dont les désirs, les attachements, peuvent se faire des voies vers la vérité, eux aussi, dans le ruissellement sous le ciel. »
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Ce livre de Marc Blanchet se présente sous la forme d'un murmure infini qui ne s'adresse pas qu'à lui-même. Ce livre est composé de trois ensembles correspondant à trois mouvements de la parole poétique que désigne chacun de ses moments : « Frères, Forteresse, Roses ». S'agit-il d'achever ou de clôturer, des années après, l'effet de présences différées, celles de présences que l'on ne peut quitter, et qui le seront de toute manière, mais après une sévère prise de conscience, à la suite ou au cours d'une réflexion visant une échappée, si ce n'est pour vivre hors de toute assemblée. Cette suite poétique est saisissante. Venant après ses deux derniers livres de poésie - l'un publié aux éditions de La Lettre volée et intitulé Le Pays, en 2021, le second aux édition Obsidiane et intitulé Triste encore, en 2022 - elle s'accorde au plus intime de la vie sans ne jamais charger la langue de quelque représentation anodine comme c'est souvent le cas dans la poésie actuelle. Ce qui transparaît avec force lorsque l'auteur fait appel à l'évocation, aussi manifeste que discrète, des rapports qu'il laisse deviner tendus avec ceux et celles qui auront accompagné ou qui accompagnent encore les faits de mémoire passés ou du présent à l'instant révoqué. Alors que dans ce livre comme dans ses autres livres il ne laisse jamais un je expressif occuper tout l'espace de la parole au point de saturer son lecteur de lubies d'esthètes. Une part vive de l'enfance se trouve sans doute ici évoquée, certes, mais cette proximité avec ce qu'il désigne par le mot frères, lesquels sont appelés à s'évanouir, de telle sorte que leur retour et leur présence, par et dans la traversée des mots, par la magie de ceux-ci, et surtout par leur si fine association, n'ont plus l'heure d'effrayer. Entendons par là que la distance prise par rapport à ce qui aura été vécu, de l'enfance et de tout ce qu'elle aura porté et transporté, ne laisse place à aucune mélancolie. De plus, la parole poétique de Marc Blanchet, dans ce livre comme dans ses livres de poésie précédents, signale une acuité de la perception qui n'est pas sans rappeler l'oeil, et l'oeuvre, du photographe qui accompagnent toute sa démarche de création. Ce qui sépare les formes abstraites, en apparence, de son expression poétique, marquée par la saisie des expériences marquantes, est si mince que l'affirmation de ses replis et la présence de tout ce qui se tient au dehors de soi, chez lui, ne participe d'aucune complaisance. Cette poésie demeure de bout en bout extrêmement lucide face à la vie. La brièveté de ses poèmes, du fait de leur densité, offre peu d'équivalent dans la poésie contemporaine : J'étais sans parole. // Des heures dans la chambre, / avec l'attente pour collier. / Aboyant pour dire oui. // Et complaire.
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Gouttes ! lacets, pieds presque proliférants sous soleil de poche
Elke De rijcke
- Cormier
- 20 Mai 2005
- 9782930231525