Littérature
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Cinquante-six, c'est l'âge de Carol Vanni au début de ce texte ; ce sont les chiffres inversés de son année de naissance ; le numéro d'une carte routière de son grand-père. C'est également le nombre de ses amants, jusqu'à aujourd'hui.
Relations d'un soir ou de plusieurs années, l'autrice se souvient de chaque homme côtoyé et fait revenir le souvenir de ces rencontres, plus ou moins chronologiquement. Pied-de-nez aux stéréotypes et loin de se conformer aux assignations faites aux femmes - femme-objet, épouse, mère ou amante, femme mûre supposée sage, que la société aimerait voir reléguées au statut de spectatrices de leurs vies et de leurs rencontres - l'autrice prend un malin plaisir à nous montrer par l'exemple que la voie peut être autre. Toutes ces femmes existent en même temps dans son récit, y compris celle qui vieillit et reste multiple.
Ce texte nous rappelle que disposer librement de son corps, de son désir et de son temps peut s'avérer être un joyeux déroulé d'expériences, plus ou moins épanouissantes, plus ou moins heureuses. Il est question de danse et d'amour, de ce qu'un être peut et veut, d'un mouvement tel une lame de fond qui pousse à aller vers... l'inconnu, l'autre, l'homme.
Par l'écriture, en évitant tous les pièges qu'une telle exposition de sa vie pourraient entraîner, Carol Vanni explore le rapport à son corps et au temps qui passe. Elle fait la part belle aux matières, odeurs, couleurs, sensations et bruits, en fait, à tout ce qui nous rend vivants. -
Quelqu'un à qui parler
Geneviève Damas, Bérénice De Waen, Céline Delbecq, Laurent Demoulin, Xavier Deutsch, François Emmanuel
- Esperluète Éditions
- En Toutes Lettres
- 15 Janvier 2025
- 9782359841930
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L' homme de Skrida
Sophie Braganti
- Esperluète Éditions
- En Toutes Lettres
- 14 Février 2025
- 9782359841954
C'est l'histoire d'un homme qui vécut entre le XVe et le XVIe siècle à l'est de l'Islande, dans une des régions les plus reculées du pays. Il ne reste de lui que quelques ossements et des informations lapidaires résumées sur un cartel à Skriðuklaustur, dans un lieu dédié à l'archéologie et à l'histoire du lieu.
C'est l'histoire d'une femme qui écrit à propos de cet homme et qui lui imagine une vie, une famille, des amis, un amour. C'est ce qu'elle peut faire pour lui, lui écrire une épopée, lui donner un nom, lui offrir une seconde vie.
C'est comme cela que L'homme de Skrida revit sous nos yeux. On le suit au plus proche de l'intime de ses sentiments. On le découvre dans une nature grandiose, aux couleurs intenses sous un ciel trop grand. On lui découvre des aspirations. On suit ses périples dans une Islande en proie aux tiraillements religieux, aux famines. On fait face avec lui à la fatalité, aux déchaînements de la nature, aux maladies qui ravagent... On vibre de ses amours et de son coeur trop grand.
Le texte de Sophie Braganti s'apparente au poème épique. Il raconte, donne à voir et à sentir. Ces mots nous immergent dans une réalité confondue - entre un Moyen-âge imagé et un présent qui l'inventorie. Les questions, peurs, élans de l'autrice et de son personnage se tissent comme si l'espace du temps qui les sépare leur permettait de se rejoindre dans l'espace trop grand de la nature islandaise. -
Sauvage est celui qui se sauve
Veronika Mabardi
- Esperluète Éditions
- En Toutes Lettres
- 14 Janvier 2022
- 9782359841497
C'est loin, vu d'ici, la Corée.
Il ne portait sur lui qu'un petit pantalon de toile.
Des chaussons de caoutchouc vert et blanc.
Un bracelet de plastique scellé où quelqu'un avait écrit son nom et l'adresse d'une famille dont il ne savait rien.
Il n'avait dans ses poches ni miettes ni cailloux.
Rien qui lui permette de retrouver son chemin.
Il disait : je porte un masque de Chinois sur un visage d'enfant blanc.
Vous ne voyez que le masque.
Il a pris son visage entre ses mains.
L'a déposé sur le papier, la toile et la terre.
Et il est reparti.
Comme point de départ au texte, il y a un point de bascule, situé en 1997, lorsque Shin Do Mabardi meurt brutalement, dans un accident de voiture. Il laissait son travail de céramiste, ses dessins, une pile de carnets et, dans la mémoire de ceux qui l'ont connu, une impressionnante douceur et beaucoup de silence.
Veronika Mabardi se place à l'endroit de ce silence pour suivre les traces qu'il a laissées, comme on suit une piste. Elle délie les souvenirs d'enfance, dans le tourbillon des années 70, les éblouissements de l'adolescence au creux des années Tatcher, la connivence et le lien entre une soeur et un frère désorientés. Elle dresse la cartographie de cette rencontre improbable, au sein d'une famille métisse.
Elle remonte le chemin vers la fratrie, les jeux, les solidarités de l'enfance. Les liens indéfectibles avec les amis. Les premiers choix et les premiers doutes. Les parents, leurs valeurs, leurs combats. Les assignations d'identité, les dénis, les injonctions à saisir sa chance, à se comporter normalement. Et le chaos qui s'installe dans la vie de ce frère qui a ébranlé ses certitudes. Qu'est-ce qui n'a pas été dit, pas même pensé??
Au moment de la mort, le frère et la soeur avaient pour projet un livre : un conte qui montrait un enfant tapi dans l'ombre d'un monde secret. Les prémisses d'une histoire qui pourrait jeter les bases de celle-ci, l'histoire d'un enfant qui grandit dans un monde qui lui échappe.
Sauvage est celui qui se sauve est certainement le livre le plus intime de Veronika Mabardi. Après Les Cerfs et Peau de louve, elle nous offre une plongée dans son histoire familiale, dans l'intimité d'une fratrie plurielle.
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Le regard retrouvé
Chantal Deltenre
- Esperluète Éditions
- En Toutes Lettres
- 19 Avril 2024
- 9782359841817
"Il arrive qu'un enfant s'émerveille d'une chose que personne d'autre que lui ne peut voir. Avec ses mots d'enfant, il tente de la décrire, mais personne ne l'écoute : les grands, c'est bien connu, ne croient que ce qu'ils voient. On l'accuse même de mentir. Alors l'enfant se tait et finit par douter de son regard. Ce doute peut persister longtemps, parfois une vie entière, sauf si l'enfant devenu grand découvre qu'il a vu vrai. Il se passe alors quelque chose d'étrange : son regard redevient aussitôt celui de l'enfant qu'il était."
Le regard, c'est le vrai héros de ce récit. Il apparaît d'emblée comme un personnage que l'on pourrait appeler Regard avec un R majuscule et qui aurait une vie parallèle à celle de la narratrice. Une vie avec sa propre histoire, mais comment la retrouver??
Et qui est-il, ce partenaire immatériel, muet et pourtant omniprésent?? Comment est-il né?? Quelle a été son enfance?? Les premières images qu'il a aimées comptent-elles encore, maintenant qu'il a grandi??
Chantal Deltenre recompose, à partir de souvenirs, de sensations et d'images, l'origine de ce compagnon de route. Elle nous emmène au coeur de cette enquête personnelle : une recherche qui invite tout un chacun à s'interroger sur son propre regard et sa construction ; avec, comme mantra, qu'il faut toujours croire aux regards d'enfants.
"C'est un livre qui tente de retracer la vie d'un regard. Je l'ai écrit en pensant à cette phrase de Georges Pérec: Il faut savoir questionner ses petites cuillères, ce qui invite à se pencher sur les petites choses qui font notre quotidien. Nous vivons dans un monde saturé d'images que nos regards ne cessent de capter, créer, enregistrer, collectionner, archiver. Chaque regard chemine à sa manière et nous prenons rarement le temps de nous interroger sur les raisons qui le font s'arrêter sur une image et pas une autre, mémoriser l'une et oublier l'autre... J'ai voulu chercher la réponse dans l'enfance d'un regard, à ses premiers pas dans le monde des images. C'est une exploration à la fois imaginaire et très concrète parce qu'elle s'appuie sur une enquête ethnographique parmi des images personnelles : photographies, cartes postales, chromos, films, planches illustrées d'un dictionnaire, etc ; l'enquête laisse entrevoir une continuité entre les images d'enfance et la façon dont un regard chemine plus tard dans le monde des images. C'est un récit personnel, mais toute personne peut se l'approprier. Il suffit de se poser ces questions : Comment est né mon regard ? Comment a-t-il appris à voir ? On oublie trop souvent cette présence immatérielle à nos côtés, comme si elle se confondait avec nous. Est-ce si sûr ? Je pense que se poser ces questions, c'est se donner ou se redonner une capacité d'émerveillement."
Chantal Deltenre, automne 2023 -
C'est l'histoire d'Henri Juel, un homme qui, à soixante ans, repart joyeusement à zéro. Après avoir posé le doigt au hasard sur une carte, il s'installe dans le village de Versol et s'invente de nouvelles habitudes. Au café, il rencontre les figures locales, dépeintes avec finesse : la tenancière, le maire, et surtout trois hommes dédaigneux qui débattent autour de cailloux aux formes rares glanés au fil de leurs déplacements. Juel souhaite ardemment intégrer leur «cercle» et se consacre alors à la collecte de cailloux remarquables.
Sous la plume espiègle de l'auteur, l'homme s'abandonne au jeu avec le sérieux des enfants. Les illustrations qui accompagnent le texte, telles les planches d'un ouvrage géologique, témoignent de cette exigence d'une collection bien faite.
Entre fiction et cabinet de curiosités, Le cercle est une promenade rythmée par les trouvailles. Une invitation à ouvrir grand les yeux et à transformer, par l'acuité du regard, l'ordinaire en merveilleux.
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Lorsque Frédérique Dolphijn rencontre l'histoire des Catulas, ces in-surgés qui, dans la première moitié du XIXe siècle, se sont rebellés parce que leurs conditions de vie et leur travail ne leur permettaient plus de vivre, elle fait le lien avec ce que l'on appelle, de nos jours, les travail-leurs-pauvres. Ceux qui crient leur colère sur les ronds-points, ceux qui prennent leurs tracteurs pour manifester leur ras-le-bol d'être laissés-pour-compte, ceux qui souvent subissent l'indifférence des nantis et du plus grand nombre.
En 1847, à Berzée en Belgique, des conditions climatiques désastreuses et de mauvaises récoltes engendrent un début de famine. Un groupe d'hommes et de femmes décident de changer la donne. D'abord en ten-tant d'acheter au prix juste le grain nécessaire à leur survie, puis, en der-nier recours, en se servant dans les greniers de ceux qui thésaurisent les récoltes et en déterminent le prix selon la loi de l'offre et de la demande. Les révoltés seront repoussés, arrêtés et pour certains incarcérés et jugés. Or, fait étonnant, la cour ne les condamnera pas...
Frédérique Dolphijn brosse un récit tout en nuances. Les différents points de vue sont évoqués, les nantis ne sont pas que les « méchants » de l'histoire ; les insurgés ont aussi leurs failles. Si leurs vies se côtoient, le cycle des saisons et les circonstances de la vie les impactent différem-ment. C'est dans cette nuance que le récit se tisse, dans les jours qui précèdent l'insurrection elle-même, jusqu'à ses conséquences.
En faisant sienne cette révolte, c'est toute une époque que l'écriture de Frédérique Dolphijn fait revivre, celle d'un siècle où chacun et chacune a sa place et est censé la tenir, jusqu'au jour où tout bascule... -
Franz Stangl, ex-commandant du camp d'extermination de Treblinka, fut arrêté au Brésil, incarcéré à la prison de Düsseldorf et condamné à la réclusion à perpétuité en 1970. Theresa Stangl, sa veuve, est restée dans leur maison de Sao Paulo où ils avaient vécu incognito durant seize ans avec leurs enfants.
C'est là, juste après la mort de son mari, en 1971, qu'elle a reçu la visite de Gitta Sereny, journaliste, qui lui a demandé de parler de son mari, de leur vie, de ce qu'elle savait, elle, de Treblinka. Gitta Sereny s'était déjà entretenue à plusieurs reprises avec Franz Stangl ; elle préparait un livre intitulé «Au coeur des ténèbres». Il s'agissait pour elle de savoir comment, par quels nouages de son histoire, quel oubli de lui-même, un homme peut-il en arriver à organiser, à commander la mise à mort de centaines de milliers d'autres, comme on dirige une entreprise? Mais, aussi, de comprendre comment sa femme est restée à ses côtés.
Nicole Malinconi donne voix à Theresa Stangl et c'est la parole de Theresa qui nous emmène dans les méandres de sa pensée : des doutes aux renoncements, de la certitude à la mise en lumière des mensonges de son mari. Jusqu'à sa rencontre avec Gitta Sereny, qui lui pose des questions, jusqu'à la dernière, la plus terrible d'entre elles.
Dans son parcours d'écriture, Nicole Malinconi interroge la question de la limite en écriture. Comment, à travers les mots, peut-on aussi dire l'innommable?
à travers les tourments d'une femme déchirée entre son amour pour son mari et l'insoutenable conscience de ses actes, Nicole Malinconi explore la capacité qu'a la littérature de poser des mots justes sur une réalité complexe.
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Peau de louve
Alexandra Duprez, Veronika Mabardi
- Esperluète Éditions
- En Toutes Lettres
- 7 Juin 2019
- 9782359841107
Peau de louve est un récit-conte, inspiré de la tradition ancestrale des contes oraux qui nous viennent des forêts profondes du Canada, de la selva d'Amérique Latine, ou plus simplement des Ardennes belges.
Peau de louve partage avec toutes ces histoires une idée vieille comme le monde : enfonce toi dans la forêt, une épreuve t'y attend, qui te transformera... À l'envie de conter s'ajoute le plaisir de jouer avec la forme, d'imposer un rythme qui structure la fable, réminiscences du répertoir poétique français. Une structure en alexandrins se dessine, pour le plus grand plaisir de l'auteur et du lecteur.
Peau de louve, c'est l'histoire de Muriel, jeune femme à la peau de lumière. Peau de louve, c'est l'histoire d'une réparation. Comment se reconstruire quand on a perdu l'image de soi, quand le monde, autour, n'est que malentendu et rapports de force, quand nos valeurs se retournent contre nous ? Que faire, quand on ne peut plus avancer et qu'on refuse de se laisser mourir ? Où retrouver le plaisir et la confiance dans le lien ?
Veronika Mabardi continue d'explorer les thèmes chers à son écriture :
La perte des mots et la parole qui guérit, le retour à la nature comme un passage après l'enfance, l'importance de se fier à son instinct.
Pour la quatrième fois, Alexandra Duprez l'accompagne de ses dessins. Leurs univers se croisent à merveille et une véritable connivence formelle se construit, entre elles deux, au ?l des livres et du temps.
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Mon temps, ma vie, se déroulaient à l'extérieur. À pied ou à vélo, je sillonnais la commune. Je connaissais tout un tas de monde. J'ignore ce qui plaisait en moi, mais je ne devais pas en faire beaucoup pour être accepté. On m'ouvrait les portes des foyers, les commerçants m'offraient des boissons, des tartines - je me souviens d'un quincaillier qui me courait littéralement après pour me prêter des outils, cela parce que j'avais évoqué l'idée de construire une cabane. En somme, j'avais le chic avec mes semblables, un don naturel.
De quoi serait fait un roman raconté à la première personne où le jeune narrateur ressemblerait comme deux gouttes d'eau à Thomas jeune ? Tout est inventé, et tout est vrai dans ce roman, nous dit Thomas Lavachery. Certains personnages ont un ou plusieurs modèles dans la réalité, d'autres sont de pures créations.
Notre narrateur se raconte dans le Bruxelles des années '70 et '80. Il fait revivre ses amitiés et ses inimitiés, tous milieux confondus. Le quartier du « Chat », le bistrot et l'épicerie du coin, la place du Jeu de Balle, la taverne du Tabellion... constituent le fil de trame du récit. Au sortir de l'enfance, l'horizon s'élargit et la ville devient un vaste terrain d'expériences.
La famille Deroo, la famille Flausse, les membres du club de boxe de la rue Cervantès, parmi lesquels l'ineffable Eddy Frissen, sont l'occasion d'une galerie de portraits dressés avec tendresse et humour. Mené par une plume sûre, le lecteur se laisse porter au gré des rencontres au sein du petit peuple bruxellois.
Le narrateur relate également son entrée dans l'écriture et ses débats avec la jeune et mystérieuse Anna Olt, première lectrice au regard intransigeant. Elle lui donnera l'impulsion nécessaire à coups d'aiguillon. Complicité et amour farouche seront les composantes de cette relation singulière, inoubliable.
Le roman de Thomas Lavachery puise sa force dans la proximité entretenue avec les personnages. Roman d'apprentissage, Le Netsuke nous plonge tout entiers «en adolescence». Le voyage est tantôt excitant, tantôt doux-amer. Nous savourons certaines sensations universelles qui remontent au temps où nous n'étions ni tout à fait nous-mêmes ni tout à fait différents. Car le voyage de Thomas Lavachery fut aussi le nôtre à un moment ou un autre, à Bruxelles ou ailleurs. -
Blanche ne parle pas, c'est ce qu'ils disent. Ils ont tout essayé. Même quand on dit son nom, elle ne répond pas, comme si ce n'était plus son nom.
...
Un jour, Blanche sortira du silence, c'est sûr. Il faut de la patience. Ou un autre choc, a dit le docteur. Mais ils ne croient pas à cette histoire de choc. Ils croient à l'amour et au temps et de toutes façons, c'est elle qui décide, hein Blanche ?
C'est arrivé peu après la mort de la mère. Blanche n'a plus parlé. En dernier recours, le père l'a confiée à Annie, qui vit dans une petite maison, loin de la ville. Un robinet qui fuit, l'odeur du pain qui cuit, un renard aux aguets sous le saule, un cheval dans l'enclos, les cerfs cachés entre les arbres, un amoureux inquiet dans la menuiserie, les silences compliqués et ceux qui sont simples comme l'air... Là-bas, entre la prairie et la forêt, entre Annie et son homme, Blanche retrouvera peu à peu le chemin des mots.
Veronika Mabardi explore dans son premier roman les thèmes qui lui sont chers : la parole qui guérit, l'enfance et la nature, les filiations qui nous construisent... Alexandra Duprez l'accompagne de ses dessins. Leurs univers se croisent à merveille et une véritable connivence formelle se construit, entre elles deux, au fil des livres et du temps. -
Mains d'herbes ; histoires d'un jardin japonais
Benoît Reiss
- Esperluète Éditions
- En Toutes Lettres
- 8 Novembre 2019
- 9782359841169
Je fais cette expérience, le nez collé contre le grillage du parc pour regarder le jardin de Madame Oda ; ce que j'ai sous les yeux est une véritable forêt, ses multiples espèces de plantes, de fleurs et d'arbustes, ses sous-bois, ses halliers, taillis, bosquets de hautes herbes, buissons, son sentier sous les arbres, ses pierres et rochers contre les troncs, enlacés aux racines, couverst de cette sorte de mousse d'un vert si foncé qu'il devient presque noir, marque de noblesse et de grande ancienneté ; le jardin n'a plus de clôture.
Le narrateur, français exilé au Japon, observe un jardin, celui de Madame Oda, qu'elle ouvre volontiers à ceux qui s'y intéressent et à ses amis « artistes ». Elle-même est entièrement tournée vers ce jardin qu'elle façonne un peu comme on élève un enfant, en lui donnant les impulsions nécessaires pour grandir, puis en lui faisant confiance.
Tout est retenue et plaisir dans ce texte où l'on glisse (car il semble que l'écriture nous guide en douceur) dans l'atmosphère de ce jardin japonais et de ses occupants, où « sous des aspects parfois anecdotiques, parmi les plaisanteries et les rires, [...] nous parlions de choses essentielles. »
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Cela pourrait être résumé en une phrase lapidaire : récit autobiographique d'un accident, or c'est bien plus. Ce texte est un objet brut, il parle tout autant de la renaissance du corps que du désir de vie et de la soif d'amour. C'est aussi une naissance à l'écriture, une forme de langue crue et directe au rythme soutenu à l'image de la vitalité qui habite son auteur. Tout est dans la forme et dans le ton, et les images de Nathalie Trovato s'associent à cette forme par la découpe des noirs et blancs de l'impression au lino.
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Vous étiez ma maison
Violaine Lison, Manon Gignoux
- Esperluète Éditions
- En Toutes Lettres
- 16 Septembre 2022
- 9782359841596
Je suis entrée chez vous. Comme dans un terrier.
Je me souviens du feu dans l'âtre.
Vous.
Votre maison.
Votre allure de fée.
Une odeur de résine, de sauge et de plantain. Des bougies sur la table. Les flammes dans la cheminée. Des tissus, des tapis, des flacons. Un piano. Et des icônes de Marie.
Vous.
Votre douceur d'aïeule.
Et mon corps qui se dénoue un peu, qui replie griffes et crocs. Vous me regardez dans les yeux.
Vous me lisez. En creux. En silence. Au milieu.
Violaine Lison guide ses lecteurs comme au travers d'un conte. Une narratrice voyage des rues pavées de la ville aux sentiers sinueux des forêts, entre les arbres et les fougères, parmi bêtes et plantes.
Elle y croise une femme âgée, mi-fée, mi-sorcière, figure bienveillante qui rapièce et protège, joue du piano et de la machine à coudre.
Cette dernière invite la visiteuse à passer le seuil de sa maison, à s'entourer de ses objets, de ses odeurs, des ronronnements du chat et des craquements du feu de cheminée. Une relation dense se tisse entre les deux femmes. Les lundis deviennent leur rendez-vous régulier avec la forêt et la vieille machine à coudre. Les vêtements, comme des secondes peaux, sont réparés avec soin, les blessures cicatrisent et les coeurs s'allègent.
Votre maison appartient à la forêt. Il n'y a pas de frontière, pas de douane. Vous habitez les bois. Et les bois vous habitent. Des châtaigniers mangent à votre table. Votre potager a le pouls régulier d'un bocage.
Mais lorsque la maison se vide sans prévenir, c'est un terrible silence qui s'abat. Questions et doutes refont surface : vers qui se tourner quand les repères disparaissent, quand les lieux familiers deviennent lointains et que les gestes rassurants perdent leur sens?? Comment appréhender un tel héritage?? à nouveau la nature bienveillante sera le refuge...
L'écriture à fleur de peau de Violaine Lison nous emmène, au rythme des nuits et des chapitres, à nous perdre en forêt et à y découvrir des chemins, des clairières ou des cabanes, pour mieux s'y retrouver ou pour se construire un lieu à soi. -
Au décès de son mari, Jeanne se désengourdit de ce temps de vie commune. Loin des cases dans lesquelles sa famille aimerait la voir, elle prend ses distances avec le monde, tout en y cherchant sa juste place. En compagnie de son amie Denise, elle entame un voyage à travers la France, à travers sa propre mémoire aussi. Oui, pourquoi pas voyager ? Elle vivra des paysages, des bêtes plus ou moins féroces au bord de la route, des rivières sombres ou claires, des rencontres sans lendemain, une station amoureuse à l'Hotel California, le brame du cerf... et pourtant elle ne conduit pas !
Il faut pour vivre sa vie un nombre incalculable d'accidents, pense Jeanne. Et pour cela, il faut faire mouvement.
Avec une écriture proche de l'observation, Joël Bastard signe ici un texte entre roman et récit, s'inscrivant dans une saga familiale qui mêle passé et présent, l'ici et l'ailleurs.
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Le peuple d'ici-bas : Christine Brisset, une femme ordinaire
Christine Van Acker
- Esperluète Éditions
- En Toutes Lettres
- 7 Octobre 2022
- 9782359841602
Au détour d'une promenade, Christine Van Acker découvre le Square Christine Brisset à Angers. Un nom d'abord, puis une femme et son histoire qui ne cessent de l'intriguer, de la poursuivre. Elle entame des recherches, fouille les archives de la Ville, interroge des proches. Plus elle en apprend sur la vie de Christine Brisset et son action sociale auprès des plus démunis, plus elle est fascinée, plus la réalité des taudis de l'après-guerre résonne avec la réalité des sans-abris du XXIe siècle.
Pionnière de l'action sociale, Christine Brisset a oeuvré pour reloger plus de 12 000 personnes, organisé quelques 800 squats, écrit d'innombrables lettres aux autorités, entrepris la construction des maisons Castors... Si les squats de maisons bourgeoises inoccupées sont la partie la plus spectaculaire de son action, la grande pauvreté est le noyau dur de sa révolte : celle-ci s'accompagne de combats contre l'illetrisme et pour l'accès aux soins de santé ; elle combat toutes les formes d'injustices liées au pouvoir ou à l'argent.
Ne pensez vous pas que nous qui n'avons pas faim, nous qui pouvons donner à nos enfants très largement le pain et les vacances, ne pensez-vous pas que nous qui sommes l'élite, nous pourrions peut-être oublier un moment notre cas particulier et apporter notre intelligence, notre science à essayer de voir ce qui ne va pas dans la grande machine ?
Christine Brisset était une femme entière et atypique, pétrie d'humanisme et de bon sens. Sa personnalité détonne, dérange et agace dans une France grise et bien-pensante des années cinquante et nous interpelle aujourd'hui. -
Le cercueil de verre
Myriam Mallié
- Esperluète Éditions
- En Toutes Lettres
- 17 Février 2023
- 9782359841671
Ici, on est loin des paillettes, du bal, du prince charmant et de la vie de château où tout coule de source, où tout - l'argent?/?la gloire?/?l'amant évidemment parfait, la triade adulée des plus irréfléchies d'entre nous - où ce «?tout?» vous serait donné par le plus chanceux des hasards.
Il faut avoir pris un peu d'âge pour se rendre compte qu'un conte c'est l'histoire tourmentée de l'éveil d'une conscience peu à peu dépouillée de ses illusions, dont on finit par faire une belle et forte histoire de désir.
Un mouvement vers une alliance souple plutôt que vers l'acquisition stable d'un tout. Le chemin autant que le but. Le chemin et une certaine pratique de la marche devenant le but.
Les premiers mots du Cercueil de verre des frères Grimm, «?Que nul ne dise qu'un pauvre tailleur ne saurait aller loin et parvenir aux grands honneurs ! Il lui suffit de...?» suscitent l'étonnement de la conteuse : un conte, ça peut commencer par la morale?? ça peut encourager une poursuite de notoriété??
Ces questions amorcent une réflexion sur ce conte-là en particulier et les contes qui habitent notre imaginaire. Formes, codes, valeurs véhiculées, Myriam Mallié déroule sa pensée en mettant en scène une conversation entre deux conteuses.
En parallèle, il y a le conte, raconté, avec son rythme, ses silences, et tout ce qu'il contient en termes de messages, d'arrière-plans, de symboles et de poésie : la forêt, le chêne, le cerf, le frère et la soeur, la jeune fille endormie, l'inconnu maléfique, le tailleur qui cherche la lumière...
Et le récit glisse dans sa trame les questions de notre temps sur l'avidité, le pouvoir, la soif de reconnaissance, la place des femmes, la place que nous laissons à nos rêves qui se débattent inlassablement entre avoir et être.
Myriam Mallié plante les graines d'une réflexion globale sur l'imaginaire, la tradition des contes et l'importance du choix des mots. Lire un conte avec elle revient à en percer l'intelligence tout en glanant des clefs pour grandir.
Tout se tient dans ces histoires, dit-elle, de l'une à l'autre, on tourne autour des mêmes questions depuis toujours. -
Un texte comme un cri. Un cri de rage. De colère. D'injustice. Le cri d'un enfant meurtri, qui ose enfin s'exprimer plus de soixante ans après les faits. Douloureusement, Jean Marc Turine remonte le fil de sa mémoire et raconte ce qu'il a tant voulu oublier : les agressions sexuelles répétées, lorsqu'il était jeune garçon, par des membres du clergé. Le texte déroule les faits et navigue entre le récit factuel, cru, et l'émotion intense. Jean Marc Turine réussit à garder cet équilibre précaire, entre le recul nécessaire à l'écriture et la répugnance des souvenirs évoqués ; écoeurement, dégoût, colère ; les émotions remontent.
Depuis toujours, la force du travail de Jean Marc Turine réside dans sa capacité à dénoncer, sans relâche, les horreurs, les injustices, de donner la parole aux sans-voix, aux opprimés de la société. Après trente-cinq ans de travail acharné, de créations radiophoniques, de livres de résistance, il prend la parole pour lui-même et l'enfant qu'il était. Dénoncer les agressions perpétrées par des membres de l'église permet à son enfance meurtrie de trouver les mots de sa blessure.
L'importance de ce texte réside dans son honnêteté, il n'occulte rien, ni la part d'ombre, ni le déni, ni la difficile construction en tant qu'homme adulte. Au-delà de l'horreur, il éclaire également l'oeuvre littéraire d'un homme épris de justice.
Il est des sujets dont on essaie parfois d'oublier qu'ils existent, des souvenirs qu'on préférerait occulter. Mais ce qui s'est passé a existé, et libérer la parole est salvateur, essentiel. Les comportements abusifs sur des jeunes enfants et leurs dénonciations récentes provoquent des haut-le-coeur. La trame en est souvent un rapport d'autorité qui paralyse la victime en protégeant l'abuseur. Le témoignage permet alors, non pas de comprendre, mais simplement d'entendre. Lorsque celui-ci se double d'une écriture ayant la qualité de celle de Jean Marc Turine, le lecteur se laisse happer par ce cri du coeur, véritable claque qui remue et révolte.
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Le jardin des hommes : entretiens sur la colère
Edmond Baudoin, Carol Vanni
- Esperluète Éditions
- En Toutes Lettres
- 13 Mai 2022
- 9782359841527
«?La plupart du temps, la colère, je ne l'appelle pas et je fais tout mon possible pour qu'elle n'arrive pas chez les autres. Cette zone de désaccord, de conflit, je l'évite. Pourtant dans ma vie privée comme au travail, je sais me mettre en colère, mais ça me coûte : ça me fait mal et ça m'épuise. Au boulot c'est souvent une injustice, une erreur qui pourrait déclencher la colère, je n'y ai pas recours, je gère autrement. Et personnellement, c'est un excès de tristesse, la colère c'est contre moi. Je ne l'oriente pas au-delà.?».
La colère, la colère des hommes, est l'axe pivot de ce texte de Carol Vanni. En questionnant des hommes, proches ou inconnus, elle s'attelle à interroger cette émotion, à tenter d'en saisir les contours, les formes, les ombres. En provoquant la rencontre, elle les écoute parler de leur colère??; sentiment ambivalent tantôt constructif tantôt destructeur. Elle collecte ces témoignages comme on collectionne des trésors, autant de parcelles intimes, de mises à nu.
Aux entretiens s'ajoutent des extraits de son journal intime et des récits du potager où elle travaille comme maraîchère. Les mains dans la terre, un refuge pour les jours trop noirs. Une invitation à plonger dans une intériorité, une vulnérabilité et sa propre colère. Le mélange des voix et des temps confère une nouvelle dimension au livre.
Délivrer la colère. Enjamber. Un pied, un pied et l'élan. Sauter au-delà de tout ce qui a trahi. Devenir fourmi ailée.
Ces portraits d'hommes façonnent un kaléidoscope de cette émotion brute. Ni thèse, ni constat, ces entretiens sur la colère posent, entre autre, la question du passage et du choix : que faire de sa colère, où la déposer, faut-il rester en retrait ou franchir le cap, est-ce douloureux?? Et plus largement, en filigrane, le contexte social affleure. Dans notre monde, la colère est-elle acceptable?? a-t-elle sa place??
Avec Carol Vanni, les questions restent entières, c'est cela que sous-tend son travail de collecte, c'est cela aussi qui nous laisse une place comme lecteur. Poser la question de la colère ne l'appauvrit pas. C'est au contraire la marque d'un texte fort. -
Des histoires de couples qui se font et se défont. Souvent les personnages ne comprennent pas très bien ce qui leur arrive. La réalité les dépasse, ils ne la maîtrisent pas. Surtout quand l'irrationnel fait irruption pour prendre possession d'eux et influencer le cours des choses.
L'amour est au centre, parfois le bonheur affleure et pourtant le désastre n'est jamais loin. Ce moment où les choses glissent inexorablement vers un ailleurs confus et inquiétant.
Jalousie, trahison, fuite nourrissent une même angoisse chez ces personnages décalés. Ils se parlent, mais pas toujours dans la même langue. Et c'est cette incompréhension réciproque qui permet à Dominique Loreau de « transformer le drame en récit ». -
Au bord du monde
Frédérique Dolphijn
- Esperluète Éditions
- En Toutes Lettres
- 8 Novembre 2019
- 9782359841176
Un gîte de vacances entre prairie et forêt, accueille au fil du récit différents vacanciers (familles, couples, habitués...). Rapidement, l'on perçoit que les rêves des uns côtoient les désillusions des autres...
Parce qu'entre les non-dits, les rêves avortés, les ambitions et les blessures anciennes, on ne rentre pas toujours dans les cases dans lesquelles les autres aimeraient nous voir. On se cherche ou se voile la face, on fait semblant, on trahit ou se trahit. Et malgré tout, chacun essaie de trouver sa place dans le monde même s'il est peuplé de rêves, de fantasmes ou de figures imaginaires.
Frédérique Dolphijn tisse un roman fait d'ensembles et de sous ensembles où les mots des uns semblent dits par les autres. Dans cet entrelac se construit, se défait et se reconstruit chaque personnage, sous le regard de l'Enfant, pierre angulaire du récit, qui semble le plus fragile mais sera sans doute le plus stable.
Ces histoires forment un tissu généreux, dans lequel le lecteur se laisse emporter. Les zones d'ombres s'éclaircissent petit à petit, certains mystères se laissent découvrir pendant que d'autres émergent. Frédérique Dolphijn signe ici un roman envoûtant, intriguant, où les intuitions et les rêves nous guident.
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Loin de Bissau
Dominique Loreau, Lionel Vinche
- Esperluète Éditions
- En Toutes Lettres
- 6 Janvier 2010
- 9782359840056
Dans un village, quelque part en Guinée-Bissau,
impossible d'aller plus loin, il y avait devant moi un fleuve,
et derrière le fleuve, une forêt tropicale.
Assise sur la berge, j'ai regardé des pêcheurs
qui ramenaient tranquillement leurs barques,
en sortaient des filets où s'agitaient quelques poissons.
Un cochon noir reniflait des détritus coincés entre deux racines,
trois poules décharnées picoraient des cailloux.
Et je regardais tout ça comme dans un rêve.
Il régnait une tranquillité pesante, angoissante,
une tranquillité qui efface en un instant l'oubli de soi,
celui que j'étais venue chercher,
une tranquillité qui précipite dans un gouffre intérieur.
Sur une berge africaine, un homme et une femme se reconnaissent. Leur histoire commence là, faite de projets et de rêves d'absolus. De retour en Allemagne, leur vie commune se délite et fait naufrage contre les murs d'une prison bien réelle et contre ceux, invisibles, des rêves qui s'effacent (Philippe Simon).
Dès ce moment-là, ils ne feront plus que se croiser, tentant maladroitement de reconstruire une idée de relation amoureuse ; avec en toile de fond les tensions politiques de l'après-guerre allemande.
Dominique Loreau offre ici un texte fort servi par une prose poétique toute en suggestion. Les images de Lionel Vinche nous parlent du couple tantôt uni, tantôt absent. Il donne, à proprement parler, corps aux personnages par la matière du dessin. -
"Ce conte a hanté, et enchanté, mon enfance. Mais le personnage de la sorcière qui arrache la langue de la petite Sirène en échange de jambes de femme m'a autant fascinée que terrifiée. Plus tard, je me suis dit que ce conte pouvait être entendu autrement que comme une histoire d'amour ratée, fondée sur une épouvantable méprise. Pour le comprendre, il me fallait faire dialoguer la petite Sirène et sa tortionnaire, que j'ai appelée "la Mutilante". Méditer sur ma propre histoire, et, en elle, sur la force - et les lois - du désir et du temps. Sur la transmission, le lien, la nécessité de certaines séparations... et tant d'autres choses essentielles, comme savent les contes. En me donnant la liberté de faire du conte un récit qui soit mien, le texte a pris peu à peu la forme d'une lettre écrite par la Mutilante à la petite Sirène. C'est donc une sorte de parole marine et maternelle, peu à peu aimante, une parole de « sous la surface de l'eau », adressée à la jeune fille. Une parole qui lui raconte, étape par étape, son périple pour se donner un corps, une âme, une parole qui soient réellement siens. L'amour en a été l'outil, blessant et pourtant créateur, la terre, le lieu de son déploiement. Et la Mutilante, dans ces grands fonds marins, a trouvé son apaisement."
Myriam Mallié -
Les Carpates
Janet Frame, Pierre Furlan
- Esperluète Éditions
- En Toutes Lettres
- 5 Février 2021
- 9782359841343
Une riche et originale New-Yorkaise, Mattina Brecon, décide de passer deux mois en Nouvelle-Zélande dans la ville qui a vu naître la légende maorie de la Fleur du Souvenir. Elle ne se doute pas que la rue où elle élit domicile va être le théâtre de phénomènes étranges, peut-être attribuables à l'influence d'un astre appelé l'Etoile de Gravité. Ces phénomènes se traduisent par la fracturation de la langue - déjà rendue inauthentique par son utilisation commerciale et politicienne - qui tombe en pluie de voyelles, de consonnes et de signes typographiques, et cet orage aura pour conséquence la disparition pure et simple des habitants de la rue.
Une telle destruction devrait servir de prélude au renouvellement de la langue et du monde, notamment grâce au travail des artistes et des romanciers. Car Janet Frame nous convie à suivre en parallèle la construction du roman qui raconte cette histoire, révélant du même coup ce qu'elle considère comme une tâche essentielle des arts, celle de ramener à la lumière du jour ce qui a été, par commodité ou lâcheté, enfoui dans l'oubli.
Lors de sa sortie en 1988, The Carpathians / Les Carpates a été salué par la presse anglo-saxonne comme un livre exceptionnel. Couronné par plusieurs prix, dont le prestigieux Commonwealth Prize de 1989, ce testament littéraire de Janet Frame est une oeuvre incontournable, enfin accessible aux lecteurs francophones grâe à la traduction inédite de Pierre Furlan.