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Fata Morgana
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« Créer un poncif, c'est le génie » écrivait Baudelaire dans Fusées. C'est, semble-t-il, ce à quoi s'attache Michaux, à sa manière, dans ce texte encore une fois inclassable, publié initialement en 1983. Ce poncif est celui de l'enfant-artiste (enfance de l'art diront certains) qui obsède les artistes du vingtième siècle - on songe à Picasso - fascinés qu'ils étaient par la question de l'origine et du geste primitif. Apologie de l'enfance, de la liberté de création, de l'authenticité en art, Les commencements sont une double invitation : d'abord à un retour en arrière, en ce temps peut-être rêvé où la simplicité faisait loi. Invitation ensuite à un refus, au refus de ce que Michaux lui-même appelle «l'enrégimentement adulte», qui amène le petit d'homme à ne plus croire au miracle, et à déserter l'Inconnu. Ce traité sur les dessins de l'âge tendre montre qu'avant toute maîtrise de la technique et du message, avant la recherche et l'effort, viennent la couleur, le trait, la forme.
De leur découverte et répétition naît cette sensibilité à laquelle chacun doit rester fidèle. -
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Beauté des instantanés qui fixent l'image de l'eau jaillissante, fusant hors d'elle-même, rebondissant vers le haut, comme la gerbe d'écume d'une vague fracassée au bord d'un rocher. La vague morte engendre ce grand fantôme blanc qui dans un instant ne sera plus. L'espace d'un déclic, l'eau pesante monte comme une fumée, comme une vapeur, comme une âme.
Rêverie sur l'eau, l'air ou la terre, ce texte secret (il n'avait été publié du vivant de Yourcenar qu'à cinquante exemplaires) se transforme en profonde méditation alchimique sous le signe des éléments.
A partir d'un paysage minéral où l'homme trouve peu de place, se dessinent les contours de Mount Desert Island. Et l'écriture, qui dessine l'essentiel avec une ligne, une branche ou du vent, nous donne la clef des engagements écologiques de Marguerite Yourcenar : Écrit dans un jardin a valeur de manifeste.
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Très présente dans le Journal de Raymond Queneau où il y fait allusion à de nombreuses reprises comme à un travail de la plus haute importance, cette pièce inachevée de 1940 se présente comme une fable biblique dramatisée. Sont en scène quatre anges déchus et trois archanges au moment de la création de l'homme... En rival du créateur une trinité angélique et maudite (Lucifer, le Diable et Satan) figure unique composée de trois personnages se voit assistée de l'énigmatique Monsieur Phosphore, en retrait, porteur de lumière, voué à l'humanité et à la réflexion. Raymond Queneau vient de rompre avec Breton et le surréalisme et cette image de la Création enrobée de mythologie annonce autant l'académie Goncourt que le collège de 'Pataphysique...
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Il boudait. Ce bras qui l'avait lâché, il le lâchait à son tour, et vainement encore cinq mois plus tard la kinésithérapeute m'exhortait à rentrer dans mon bras, mais je me débrouillais avec le gauche, m'étant mis tant bien que mal, dès le lendemain de la chute, malgré sa maladresse, sa presque inexistence, à écrire vermiculairement de la main gauche pour ne pas perdre trace entière de cet aspect gelé et belle-au-bois-dormant de la nature, dont il fallait que je prenne note, afin de ne jamais plus l'oublier, ni l'omettre dans mes futures possibles investigations.
L'individu a au moins deux manières très distinctes de vivre son corps : à ces deux modes de vie s'accordent les noms de droit et de gauche. Dans le corps droit est perçue la représentation sociale, déterminante du corps visible, a contrario, le corps gauche est une manière intérieure, porté par les sensations et l'imagination. Un bras cassé, le droit, provoque une rupture dans la perception du corps, point de départ de ce texte, voyage intérieur, côté gauche.
Ce titre était indisponible depuis trop longtemps alors qu'il est au centre du catalogue.
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Retrouvée en 1995 en Bulgarie, la mythique édition russe du tout premier poème de Blaise Cendrars, écrit et publié à Moscou en 1907, a fait sensation et suscité de nombreux articles. Notre édition, illustrée de cinq dessins en couleurs inédits de Pierre Alechinsky, reproduit intégralement le livre original russe et en donne une traduction supervisée par Miriam Cendrars, qui a aussi rédigé l'introduction. Forme et style du poème annoncent la modernité autant «qu'il révèle la tragique origine d'un nom nouveau, issu de feu, de braise et de cendres : Blaise Cendrars».
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Voyage parmi les signes et les mots : Henri Michaux nous invite à entrer dans la genèse d'une oeuvre, à le suivre dans le tonique mystère de son combat contre les formes existantes. Progression de la main sur le papier : l'écriture court et multiplie trajets et tentatives. Elle appelle avec force le mouvement : élans, suspensions, pour que rien ne s'arrête.
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Carnet de Notes d'Électre a connu une seule parution dans la revue Théâtre de France. A l'occasion de la création à Paris, en 1954, de sa pièce Électre ou la chute des masques, - production que Yourcenar désavouera suite à un désaccord sur la distribution - elle confronte sa conception de la tragédie et des mythes grecs avec celles de quelques-uns de ses contemporains (Cocteau, Gide, Sartre, Giraudoux, Anouilh), qui, comme elle, ont opéré durant l'entre-deux guerres un «retour au mythe». Comme Yourcenar l'affirme en 1954, dans Carnet de notes d'Électre, si les masques grecs offrent encore au poète moderne le maximum de commodité et de prestige, c'est précisément parce qu'ils ont cessé d'être d'aucun temps, même des temps antiques. Chacun les porte à sa guise ;
Chacun s'arrange pour verser le plus possible de soi dans ces moules éternels.
Légèrement différente du texte publié en 1954, cette version inédite, éditée à l'occasion du trentième anniversaire de la mort de Marguerite Yourcenar (1903-1987) intègre quelques corrections ou modifications notées de sa main dans un exemplaire de Théâtre de France qu'elle a conservé dans ses archives.
On ignore quand et pourquoi Yourcenar a porté ces quelques corrections à un article déjà publié.
Peut-être songeait-elle à reprendre dans un de ses recueils d'essais des années 1980, comme elle l'a fait pour de nombreux articles parus en revue, ce texte qui synthétise sa vision du drame grec antique et ce qu'elle a tenté de faire en écrivant durant l'été 1943 Électre ou la Chute des masques, puis renonça à ce projet ou l'oublia. Plus simplement, son perfectionnisme quand il s'agit de la moindre de ses productions lui a-t-il fait corriger les petites erreurs qu'elle avait laissée passer à la première parution de son texte.
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Noknok est le souvenir de la rencontre de l'auteur, dans les forêts profondes du Canada, avec les Nisga'as, derniers tailleurs ancestraux de «totem-poles». Le texte témoigne, avec poésie et humour, de l'admiration portée par Nicolas Alquin à ces artistes traditionnels et, plus généralement, de l'in?uence des sculptures primitives sur l'art occidental. Les illustrations totémiques de l'artiste se lèvent aux abords de ce séjour dépaysant et font de Noknok une oeuvre où l'art est fraternel, où l'échange se rend indispensable.
Nicolas Alquin est un sculpteur français né en 1958 à Bruxelles. Après Plein fer (2010), récit jubilatoire, il retrouve la taille des mots pour à nouveau concilier intériorité et envol. L'in?uence de la sculpture n'est jamais loin : le visible et l'indicible, la main et l'esprit, la maîtrise et l'aléatoire, tous émergent à la surface du texte. L'émerveillement, fait du respect de la nature et de retrouvailles archétypiques, est son moteur principal. -
Quand je vis la première exposition de tableaux de Paul Klee, j'en revins, je me souviens, voûté d'un grand silence.
Fermé à la peinture, ce que j'y voyais, je ne sais. Je ne tenais pas à le savoir, trop heureux d'être passé de l'autre côté, dans l'aquarium, loin du coupant.
Henri Michaux rend un vibrant hommage à la peinture de Paul Klee, à ses menues modulations de couleurs, au réseau labyrinthique des lignes qui construisent ses tableaux, dans lesquels pour entrer «il suf?t d'être l'élu, d'avoir gardé soi-même la conscience de vivre dans un monde d'énigmes, auquel, c'est en énigmes aussi qu'il convient le mieux de répondre.» -
Quand il débarque à Paris en 1941 pour rejoindre les surréalistes, Christian Dotremont n'a que dix-neuf ans. Il n'est pas encore le peintre célèbre pour ses logogrammes, créateur de la revue Strates et fondateur du mouvement Cobra dont l'in?uence ira au-delà de toutes les frontières, mais il porte en lui la création.
Il y rencontre la poétesse Régine Raufast : de cette liaison de près de deux ans germe une correspondance rare et sulfureuse. Les lettres à sa première muse sont ici réunies : sous le vernis de l'adolescent amoureux gronde l'orage poétique et théorique du jeune artiste. Ce «grand feu noir» illumine son âme et, dans l'éloge romantique, brûle en poèmes, ré?exions et traits d'esprit. C'est dans cette mystérieuse effervescence que se trace les prémices de l'oeuvre que l'on sait désormais fondamentale.
La correspondance est suivie de La reine des murs écrit en 1942 dont les lithographies de Pierre Alechinsky (que nous reproduisons) accompagneront la publication vingt ans plus tard. -
Ne croyez pas - sous prétexte que vous avez réglé leur compte aux dieux, avec ou sans linceul de pourpre, en quatre coups de cuiller à pot, et mis l'univers en bouteille, et parce que vous vous faites fort d'exorciser toute chose en l'appelant par son nom, comme on sonne un domestique, et de regarder le soleil bien en face quand ça vous chante - ne croyez pas que c'en est fait pour autant de l'Ombre inexorable qui vous hante et vous guide à chaque pas, lors même qu'elle semble vous suivre comme un chien.
Voici l'éternelle Astrologie, à quoi beaucoup de sagesse vous ramène - si un peu de science vous en éloigne. Ainsi soit-il ! Léon-Paul Fargue, dans cet avant dernier livre, jamais repris, vient "rechercher l'illustration vivante des décrets astrologiques". Il y fait briller autant de constellations qu'il aura eu de vies à remplir et donne, par une ivresse verbale, une vision cosmique aussi sérieuse que cocasse : après Paris, ce sont les astres qu'il arpente pour y promener son "âme délinquante et ? ère".
Pour cette édition Pierre Alechinsky réalise douze encres reproduites en pleine page.
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Ignorant, inconscient pour avoir avalé cette drogue, en somme quasi pour m'en débarrasser, jai mis en route la roue du temps. Les images ne m'intéressent pas, je n'en veux plus. Avec un produit de cette force, ça ne doit pas convenir. Je retourne dans ma chambre afin de me recueillir.
Trop tard déjà.
Expérience singulière que celle d'Henri Michaux, décrivant avec une acuité tenace les effets puissants des drogues qu'il s'administre. Expérience littéraire unique puisque chaque substance a peut-être sa propre langue, encore faut-il pouvoir l'écrire. Ici Henri Michaux semble lutter contre les images pour être au plus près de la pensée, même si celle-ci se décale, se dévie pour devenir la clarté même.
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Les mots qu'ici je viens de réunir ne sont qu'un tout petit peu de ce qui est inspiré à chacun de nous, et pour chacun d'une façon différente, dès que notre regard avec timidité s'arrête sur telle oeuvre dont, malgré sa cohésion, la richesse est stupéfiante. Avec reconnaissance et respect, même si nous n'avons compris qu'une partie de son enseignement, inclinons-nous devant son créateur.
Grâce lui soit rendue !
Ecrivain surréaliste, à la fois poète, conteur, romancier et essayiste, André Pieyre de Mandiargues a entretenu d'étroites relations avec l'oeuvre écrite et peinte d'Henri Michaux, son ami. Son monde où pulsions et fantasmes bousculent le réel, où une liberté onirique aux confins de l'imaginaire et du désir lézarde le quotidien (dans un trouble merveilleux), coïncide par plusieurs frontières avec celui de Michaux. Personne n'était alors mieux placé pour poser sur «ce très haut phare à feu noir» un regard aussi profond que personnel. Dans ces trois textes Michaux devient un voyant, une sorte d'Aède qui entrevoit dans les ténèbres les contours nets des origines, naissance de toute chose.
Aimons-le !
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Marguerite Yourcenar (1903-1987) n'a que 23 ans lorsque paraît L'homme couvert de dieux dans les colonnes de l'Humanité.
Cette oeuvre de jeunesse, violemment laïque, qui décrit l'homme croulant sous le poids de ses idoles tranche avec les pages plus tardives et plus connues de Yourcenar empreintes de mythes grecs et latins. Ce "conte", jamais republié depuis, aide à mesurer l'étendue et à saisir la complexité de l'oeuvre, immense, de Marguerite Yourcenar.
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Le poète assassiné est le premier texte qu'illustra Pierre Alechinsky, avec ces dix-huit linogravures, en 1948, au terme de sa formation à l'école de la Cambre, mais le livre ne fut pas publié à l'époque.
Ce conte autobiographique, paru pour la première fois en 1916 mais écrit avant la guerre, raconte l'histoire du poète Croniamantal, d'abord adulé par tous, puis lynché lors d'un mouvement de haine général contre la poésie et les poètes.
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Le cargo noir fascine aussi parce que les hommes expérimentés et attentifs qui, dans les fonds haletants, conduisent sa machine à vapeur à la fois puissante et douce, ont des gestes voisins de ceux d'Alechinsky maîtrisant le métal, les acides, les encres, la presse d'acier poli. Il a déterminé de l'esprit et du geste les signes définitifs de son estampe, déposé leur trace pour l'avenir, fixé les rapports éternels entre la mer et le ciel, troublés un instant par le passage du cargo noir.
De Blake et Friedrich à Pollock en passant par Turner, Munch et Van Gogh, le poète est amené à définir dans l'art occidental un courant de «Romantisme nordique» dont il dégage magistralement les éléments constitutifs et la spécificité qui font l'oeuvre de Pierre Alechinsky. C'est un éclairage nouveau sur ce peintre, qui a illustré plus de soixante livres de notre catalogue, qui nous est offert ici.
Reproduction de soixante-neuf dessins de Pierre Alechinsky..
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Est-ce l'amour ces doigts qui pressent la cosse du brouillard Pour qu'en jaillissent les villes inconnues aux portes hélas éblouissantes L'amour ces fils télégraphiques qui font de la lumière insatiable un brillant sans cesse qui se rouvre De la taille même de notre compartiment de la nuit Tu viens à moi de plus loin que l'ombre je ne dis pas dans l'espace des séquoias millénaires Dans ta voix se font la courte échelle des trilles d'oiseaux perdus Pour le cinquantenaire des éditions Fata Morgana nous avons choisi de rééditer le mythique poème éponyme d'André Breton, écrit à Marseille en 1940 et dédié à sa femme Jacqueline. Et il nous a paru tout indiqué de le proposer à Pierre Alechinsky, à la fois peintre lié au surréalisme comme à Breton qu'il a fréquenté, et fidèle ami qui nous accompagne depuis le début et avec qui nous avons déjà réalisé plus de soixante livres.
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Plénièrement ; une journée chez Eliza
Julien Gracq, Pierre Alechinsky
- Fata Morgana
- 15 Mai 2006
- 9782851946720
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L'évolution du signe graphique chinois est une sente : de l'image au caractère, de l'imitation de la nature à une expression abstraite subjective. Les univers, poétique et pictural, d'Henri Michaux sont animés par la même exigence. Celle d'une non-pesanteur, d'une dynamique où la peinture et la parole éprouvent. A la recherche d'une langue intime. Ou comment une écriture picturale pourrait souffler l'indicible. Ce classique paru en 1975 n'a rien perdu de son acuité.
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En revant a partir de peintures enigmatiques
Henri Michaux
- Fata Morgana
- 22 Septembre 2012
- 9782851948496
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