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GALLIMARD
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«Il a caressé des petits serpents très doux ; il parlait toujours. Le mégot brûlait son doigt ; il a pris sa dernière bouffée. Le premier soleil l'a frappé, il a chancelé, s'est retenu à des robes fauves, des poignées de menthe ; il s'est souvenu de chairs de femmes, de regards d'enfants, du délire des innocents : tout cela parlait dans le chant des oiseaux ; il est tombé à genoux dans la bouleversante signifiance du Verbe universel. Il a relevé la tête, a remercié Quelqu'un, tout a pris sens, il est retombé mort.»
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En créant le personnage de Zénon, alchimiste et médecin du XVIe siècle, Marguerite Yourcenar, l'auteur de Mémoires d'Hadrien, ne raconte pas seulement le destin tragique d'un homme extraordinaire. C'est toute une époque qui revit dans son infinie richesse, comme aussi dans son âcre et brutale réalité ; un monde contrasté où s'affrontent le Moyen Âge et la Renaissance, et où pointent déjà les temps modernes, monde dont Zénon est issu, mais dont peu à peu cet homme libre se dégage, et qui pour cette raison même finira par le broyer.
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«À l'âge où les questions affluent sur les choix et la liberté, certaines choses ne vous échappent pas, et notamment que très tôt, dans la vie, il peut être déjà trop tard.» Alors que son père vit ses derniers jours, l'auteur interroge le destin de cet homme qu'il percevait comme faible et auquel, dans l'arrogance de sa jeunesse, il ne voulait surtout pas ressembler. L'histoire de ce père, c'est celle d'un Italien arrivé très jeune en Belgique et devenu mécanicien à contrecoeur, alors qu'il rêvait d'être avocat. Marqué du sceau de la fatalité, son parcours fut fait d'une série de déroutes succédant à de brèves périodes de lumière. Et pourtant, à l'heure des choix, il mit son garage en péril pour que son fils suive sa propre voie, celle des lettres, témoignant d'une abnégation dont celui-ci ne mesura la portée que bien plus tard. En retraçant les trajectoires croisées d'un père et d'un fils que l'incompréhension a longtemps séparés, Giuseppe Santoliquido signe un récit filial d'une grande force poétique, explorant avec grâce les questions de l'exil, de la culpabilité et du pardon.
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Heim Hochland, en Bavière, 1944. Dans la première maternité nazie, les rumeurs de la guerre arrivent à peine ; tout est fait pour offrir aux nouveau-nés de l'ordre SS et à leurs mères «de sang pur» un cadre harmonieux. La jeune Renée, une Française abandonnée des siens après s'être éprise d'un soldat allemand, trouve là un refuge dans l'attente d'une naissance non désirée. Helga, infirmière modèle chargée de veiller sur les femmes enceintes et les nourrissons, voit défiler des pensionnaires aux destins parfois tragiques et des enfants évincés lorsqu'ils ne correspondent pas aux critères exigés : face à cette cruauté, ses certitudes quelquefois vacillent. Alors que les Alliés se rapprochent, l'organisation bien réglée des foyers Lebensborn se détraque, et l'abri devient piège. Que deviendront-ils lorsque les soldats américains arriveront jusqu'à eux ? Et quel choix leur restera-t-il ? Reconstituant dans sa réalité historique ce gynécée inquiétant, ce roman propose une immersion dans un des Lebensborn patronnés par Himmler, visant à développer la race aryenne et à fabriquer les futurs seigneurs de guerre. Une plongée saisissante dans l'Allemagne nazie envisagée du point de vue des femmes.
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«Tout à coup, le carreau dans la chambre paisible montre une tache. L'édredon à ce moment a un cri, un cri et un sursaut ; ensuite le sang coule. Les draps s'humectent, tout se mouille. L'armoire s'ouvre violemment ; un mort en sort et s'abat. Certes, cela n'est pas réjouissant. Mais c'est un plaisir que de frapper une belette. Bien, ensuite il faut la clouer sur un piano. Il le faut absolument. Après on s'en va. On peut aussi la clouer sur un vase. Mais c'est difficile. Le vase n'y résiste pas. C'est difficile. C'est dommage. Un battant accable l'autre et ne le lâche plus. La porte de l'armoire s'est refermée. On s'enfuit alors, on est des milliers à s'enfuir. De tous côtés, à la nage ; on était donc si nombreux ! Étoile de corps blancs, qui toujours rayonne, rayonne...»
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S'est-il jamais senti de ce monde? A-t-il jamais perçu une appartenance, une parenté, une filiation? Henri Michaux semble être né par mégarde et l'existence lui fut souvent à charge. Entre lui et les choses, entre lui et les êtres:un abîme. Un abîme qui déborde d'un bric-à-brac de peurs, de sursauts, de cris, de hantises, de rires cruels, de scalps, d'insomnies.Henri Michaux est singulier parce qu'il est radicalement seul, abandonné, retranché, exclu. Abandonné volontaire, retranché volontaire, exclu volontaire. S'il ne fuit pas systématiquement les autres, s'il se trouve des compagnies, il a en lui ce surcroît de lucidité ou d'alarme qui maintient la distance, ce tranchant de l'intelligence qui coupe jusqu'à l'air du temps.Aussi, quand il aborde un genre littéraire a priori peu fait pour lui, celui très noble des «Pensées», il s'emploie à le détourner, le dévoyer, le mettre en péril et en perdition. Les Poteaux d'angle d'Henri Michaux apparaissent comme les plus égarants et les plus réjouissants poteaux indicateurs jamais offerts au balisage de la raison, de la conscience et de nos comportements grégaires. Ce sont des aphorismes pour vivre à l'écart, des préceptes pour ne pas se laisser faire, des réflexions à contre-norme, des conseils qui n'ont pas de conseils à vous donner.
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«Au-dessous de 40° sud il n'y a plus loi. Au-dessous de 50° sud il n'y a plus Dieu.» Les cinquantièmes hurlants est le chant démentiel d'un navigateur embarqué pour un périlleux voyage en mer à l'approche des limites. Dans cette oscillation entre le réel et le fantasmatique, la maîtrise et la déraison qui hantent la voix unique de Tom Buron, la possibilité du retour n'existe pas. Un éloge de l'aventure et du risque, une expédition géographique et métaphysique à travers les flots et la mémoire portée par un vers au rythme fluide et puissant, une musique envoûtante et féroce.
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De lieux réels en lieux rêvés, la voix de ces poèmes est saisie par la transe du monde, pour se faire chant, cri ou murmure. L'aventure est ce désir d'aller toujours où douceur et souffrance ont leur part. Fille, adolescente, femme - le corps s'ébroue, cherchant d'un cycle à l'autre ses contours. À la fin, le flux du vivant l'emporte et la voix retourne à la mer comme les oiseaux au vol ample de saison en saison. En prose et en vers, un geste se déploie dans ce mouvement : par la langue, rassembler les morceaux épars, rapiécer une peau qu'on puisse habiter, animale et plurielle.
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«- Il serait temps que je meure, sinon je vais vous fatiguer.- C'est toi qui te fatigues : tu ne t'ennuies pas, toute la journée à ne rien faire ?- Je ne m'ennuie jamais. Quand je n'aurai plus rien à faire, je deviendrai enfin bonne.»Une nuit, la narratrice rêve que sa mère, handicapée et malvoyante, parcourt à pied dans l'obscurité les cent kilomètres qui les séparent. Ce rêve inaugure un temps durant lequel, dans la «grande et brave maison» où la mère voudrait mourir parmi les siens, se renoue un lien ambivalent mais tenace. Cinq ans plus tard, la presque centenaire assumera avec courage la nécessité de son placement dans un établissement de soins. Cet exil se doublera du confinement imposé par la pandémie, la voix de la mère au téléphone constituant l'unique vecteur de sa révolte. La mort l'emportera sans qu'elle ait pu revoir ses enfants. Mais ce qu'elle a voulu faire de sa fin offrira une lumineuse consolation au désarroi familial.
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La séance de sacJe crache sur ma vie. Je m'en désolidarise.Qui ne fait mieux que sa vie ?Cela commença quand j'étais enfant. Il y avait un grand adulte encombrant.Comment me venger de lui ? Je le mis dans un sac. Là je pouvais le battre à mon aise. Il criait, mais je ne l'écoutais pas. Il n'était pas intéressant.Cette habitude de mon enfance, je l'ai sagement gardée. Les possibilités d'intervention qu'on acquiert en devenant adulte, outre qu'elles ne vont pas loin, je m'en méfiais.À qui est au lit, on n'offre pas une chaise.Cette habitude, dis-je, je l'ai justement gardée, et jusqu'aujourd'hui gardée secrète. C'était plus sûr.Son inconvénient - car il y en a un - c'est que grâce à elle, je supporte trop facilement des gens impossibles.Je sais que je les attends au sac. Voilà qui donne une merveilleuse patience.[...]
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"Nous nous battons toujours à fond, complètement, jusqu'à la dernière goutte du sang des autres. À la fin il n'y a ni gagnants ni perdants. La guerre n'est qu'un long serpent. La tête est un président fou et la queue est ce jeune homme, perdu devant l'entrée du métro Ribaucourt à Bruxelles." Enrôlé à vingt-huit ans dans l'armée croato-bosniaque lors de l'agression de la Bosnie par l'armée fédérale ex-yougoslave, Velibor Colic a connu l'épouvante où sombraient les hommes, mais aussi les animaux, les arbres, les champs, les jardins, les maisons, tout ce monde de beauté paisible qui avait été le sien jusque-là. Il a consacré dès lors son énergie à trouver le moyen de déserter. Guerre et pluie est un récit à la fois halluciné et drolatique. La description de cet univers d'effroi, où aucune loi n'existe, où un soldat peut jeter une grenade sous une vache pour rire, où un autre peut voler à un vieillard son appareillage respiratoire pour le revendre, est tempérée par la douceur merveilleuse des souvenirs d'avant - en particulier des souvenirs amoureux, évoqués avec une délicatesse et une poésie qui subjuguent. Un grand livre, où résonne terriblement, aujourd'hui, l'écho de la guerre en Ukraine.
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«La vie se gagne et se regagne sans cesse, à condition de se convaincre qu'un salut est toujours possible, et de se dire que rien n'advient qui ne prend racine en nous-mêmes.» Italie, la Basilicate, été 2005. Alors que le village de Ravina est en fête, Chiara, quinze ans, se volatilise. Les villageois se lancent à sa recherche ; les jours passent, l'enquête piétine : l'adolescente est introuvable. Une horde de journalistes s'installe dans une ferme voisine, filmant le calvaire de l'entourage. Le drame de ces petites gens devient le feuilleton national. Des années après les faits, Sandro, un proche de la disparue, revient sur ces quelques mois qui ont changé à jamais le cours de son destin. Roman au suspense implacable, L'été sans retour est l'histoire d'une famille maudite vivant aux marges du monde, confrontée à des secrets enfouis et à la cruauté obscène du cirque médiatique.
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Juliette, ou Bluebird, ainsi que l'a surnommée son jeune amoureux de passage, ne va plus au lycée. Elle a coupé les ponts avec ses parents pour aller vivre chez sa grand-mère. Officiellement, elle a contracté une maladie infectieuse. La réalité, que l'adolescente n'a pu admettre à temps, que son corps même lui a cachée, est tout autre : elle est enceinte. Garder le bébé, le confier, le «donner» en adoption, tel est désormais le choix qui s'impose à elle. Dans une longue lettre adressée à l'enfant à naître, la toute jeune femme exprime avec une rare justesse ses peurs, ses rêves et sa fragilité au long de ce cheminement incertain.
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À l'âge de vingt ans, le jeune Kurogiku tombe amoureux d'une femme qu'il n'a fait qu'entrevoir et quitte le Japon pour la retrouver. Arrivé en Toscane, il s'installe dans une ruine isolée où il mènera quarante ans durant une vie d'ermite, adonné à l'art du washi, papier artisanal japonais, dans lequel il plie des origamis. Un jour, Casparo, un jeune horloger, arrive chez Kurogiku, devenu Monsieur Origami. Il a le projet de fabriquer une montre complexe avec toutes les mesures du temps disponibles. Son arrivée bouscule l'apparente tranquillité de Monsieur Origami et le confronte à son passé. Les deux hommes sortiront transformés de cette rencontre. Ce roman, d'un dépouillement extrême, allie profondeur et légèreté, philosophie et silence. Il fait voir ce qui n'est pas montré, entendre ce qui n'est pas prononcé. D'une précision documentaire parfaite, il a l'intensité d'un conte, la beauté d'un origami.
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Au Canada, Jean Iritimbi, un Centrafricain sans papiers, rencontre, dans l'hôtel où il travaille au noir, Patricia, une cliente blanche qui s'éprend de lui. Pour le ramener avec elle à Paris, elle vole le passeport d'un Afro-Américain. Mais Jean Iritimbi n'a pas dit à Patricia qu'il a une famille au pays, une femme et deux filles. Il apprend en les appelant qu'elles sont en route pour le rejoindre. Hélas, le bateau qui les transporte fait naufrage. On annonce peu de survivants. À partir d'une des tragédies de notre actualité, l'auteur a composé un roman bref d'une étonnante densité. C'est un texte à plusieurs voix, finement documenté et d'une grande émotion. Les trois personnages principaux parlent à tour de rôle, d'une voix juste, portée par une écriture orale et simple. Cette polyphonie offre une vision originale et sensible du drame des migrants.
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« Zénon, sombre Zénon » : correspondance 1968-1970
Marguerite Yourcenar
- Gallimard
- Blanche
- 16 Novembre 2023
- 9782072988936
Au coeur des événements de mai 1968 paraît L'Oeuvre au Noir. À l'automne, c'est la consécration critique et publique avec l'obtention du prix Femina. Tant l'oeuvre que la renommée de la romancière changent de stature. Au cours de l'année qui suit, Yourcenar est sollicitée par des journalistes, des amis, des écrivains et philosophes, des éditeurs, des lecteurs inconnus. La correspondance qui en résulte est une leçon de grand style épistolaire. En 1970, Yourcenar est élue à l'Académie royale de Belgique - une décennie avant son élection à l'Académie française. Avec l'ébauche de La Couronne et la Lyre et du grand projet autobiographique du Labyrinthe du monde, on voit apparaître le tableau achevé de l'oeuvre, tel que le dispose pour la postérité l'écrivaine, et les lettres de cette correspondance générale sont l'occasion pour le lecteur «de suivre, à travers le brouhaha des faits extérieurs, l'aventure secrète d'un esprit».
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Ces neuf nouvelles nous placent à la lisière de deux mondes, là où se croisent humains en déroute et animaux semi-sauvages. Chacun tente de rejoindre l'autre, mais l'on ne sait qui, de la bête ou de l'humain, est en quête de protection. De quel envol blessé la cane Frou-Frou est-elle le signe? Un cheval nommé Mensonge peut-il emporter une enfant loin du monde mensonger des adultes? Comment un rat, un écureuil, un hérisson exorcisent-ils la folie, le deuil ou simplement l'ennui? Que deviendra le nid des fourmis Lin, Clet, Clément, Sixte, Corneille et Cyprien après le passage de joyeux promeneurs? En quoi un chat errant, un papillon sur sa fin sont-ils les messagers de l'amour? Au sommet d'un arbre fragilisé par les bouleversements climatiques, que signale le chant obstiné de Merlin? Autant d'existences menacées, mais libres à leur manière. Autant d'alliances discrètes, toujours sur le qui-vive. Dans un monde à la lisière du chaos, Caroline Lamarche allie la simplicité narrative à une sauvagerie souterraine pour dire l'interdépendance de toutes les créatures vivantes.
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Voici un hommage joyeux à une longue tradition où le poème de Paris est aussi chanson. Le périmètre géographique et lyrique du poème est ainsi tracé : ce qui luit et sonne comme un grelot ancien, le village disparu du Ier arrondissement comme le village du poète campagnard vivant à la capitale. L'histoire des noms reflète les moeurs du quartier, où Cossonnerie est une atténuation de Cochonnerie. Il y a dans ce recueil ambulant quelque chose d'évident, de populaire et de fantasque, pour notre plus grand plaisir.
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«Ça commence avec un bateau, le paquebot George Washington, qui emmène le président Wilson en Europe, et ça finira avec le même bateau ramenant le président Wilson aux États-Unis. Entre les deux, je noue des boucles de temps avec passages réguliers au point de Paris 1919, dans l'espoir par-ci par-là de faire apparaître des dieux le long du chemin.» Dans ce voyage littéraire, Grégoire Polet traite la matière historique comme du souvenir personnel, vivant, où tout est intimement lié, tressé, aussi éloignés que les événements ou les personnages puissent paraître. L'écriture circule dans le temps comme le sang dans un corps, descendant dans le dix-huitième siècle, remontant vers aujourd'hui, retournant à 1919... Ainsi chemine-t-on en compagnie de Wilson, qui vient en Europe pour la paix de 1919, mais aussi de Da Ponte, le librettiste de Mozart, qui fait la traversée inverse un siècle plus tôt et s'installe à New York, ou de Goya, de Victor Hugo, de Marcel Proust, qui reçoit le Goncourt justement en 1919 et à qui le narrateur rend une visite importante pour sa compréhension du temps. Ce roman d'une grande virtuosité déborde d'un plaisir d'écriture communicatif. On en sort secoué, avec le sentiment d'avoir vécu une véritable aventure littéraire.
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Mémoires d'Hadrien ; carnets de notes de "mémoires d'Hadrien"
Marguerite Yourcenar
- Gallimard
- Blanche
- 25 Novembre 1977
- 9782070298709
Suivi de Carnets de notes de «Mémoires d'Hadrien». Nouvelle édition en 1977
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Robinson est une île sauvage.
Robinson est un monde.
Robinson est un Sisyphe heureux.
Robinson est un enfant autiste.
Son père, universitaire, évoque avec délicatesse et subtilité son expérience de la paternité hors norme, où le quotidien (faire les courses, prendre le bain, se promener) devient une poésie épique. Détonantes scènes décrites dans leur violence et leur scatologie les plus crues : Robinson ne parle pas, ne se contient pas, il s'exprime dans les mêmes gestes faits et refaits, avec cependant la même joie et le même intérêt, s'achevant dans les fèces le plus souvent.
Ainsi Robinson est un adepte de Paul Valéry : «Le monde est menacé par deux choses : l'ordre et le désordre».
À cette vie au présent, unique unité de temps comprise par l'enfant, le père répond par une attention de chaque instant et ses soins constants, un humour sans faille et une éponge toujours prête. Avec intelligence et pudeur, ce père nous décrit ces microscènes dans une langue précise et maîtrisée, que son fils, privé de parole, ne saura appréhender. Peut-être est-ce là la seule raison d'être de ce texte tissé entre eux : Robinson ne le lira jamais.
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« Mais regardant cet homme au milieu des rires et des chansons, comme un chêne dans son feuillage ; ce danseur crucifié à côté de la piste, (.) ce père que j'ai craint comme l'orage et que j'ai fui pour ne pas avoir à le détester, je me dis qu'il y a pire douleur que tous les arbres de la forêt abattus, tous les massacres en images, c'est de voir un homme en silence, qui pleure. » Nous retrouvons Simon, le narrateur de Un été autour du cou, précédent roman de Guy Goffette. Devenu un homme, il raconte les relations complexes qu'il a eues avec son père tout au long de sa vie. « Geronimo » était un homme rude, exigeant, incapable d'exprimer son affection, et pourtant admiré de son fils, qui aura attendu en vain un geste, un mot capable de lui donner confiance. La personnalité de ce père silencieux, communiste, plâtrier puis entrepreneur, mais aussi catholique, dur à la tâche, reste à contre-jour, comme si le narrateur ne pouvait voir en lui qu'une ombre en voie d'effacement. Le récit cependant ne sombre pas dans la mélancolie ou les regrets, il reste léger, un peu à distance. C'est un texte touchant, délicat, magnifiquement écrit et composé.
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Une théorie prétend qu'il suffit de six poignées de main pour relier une personne à une autre, où qu'elles soient dans le monde. Appliquant cette théorie au roman, Grégoire Polet représente Barcelone à travers une vingtaine de personnages, dont les destins se croisent, se tressent, se perdent et se retrouvent. De 2008 à 2012, alors que les Espagnols s'enlisent dans la crise économique, que les indignés se lèvent et que l'indépendantisme commence sa grande remontée, nous suivons la vie privée des personnages, leurs points de vue, leurs soucis et leurs aventures, leurs ambitions, leurs croyances, bien souvent contradictoires. Au centre de cet écheveau d'intrigues, Barcelone en majesté : son architecture, son histoire, son fonctionnement politique, ses atmosphères.
Dans la veine de Madrid ne dort pas et de Leurs vies éclatantes, une veine à la fois lyrique et précise, étincelante de vie, Grégoire Polet déploie son art du récit et des dialogues pour rendre à Barcelone toute la joie et la passion qu'elle lui inspire.
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«Je méprise les artifices décrits dans les livres et vendus, dans les vitrines des magasins spécialisés, sur de jolis présentoirs où brillent le verre poli, le métal et le cuir. Je n'ose pas les morceaux de bois, les manches de couteau, tout ce qui blesse et mutile. Je suis une soumise de province taillant des carottes sur un coin de table, je travaille à réduire ma folie par des aménagements ridicules. L'humiliation que je cherche ne naîtra jamais devant vous qui m'aimez, elle ne me viendra pas du regard des voyeurs. L'humiliation, pour être pure, doit être solitaire. Car il faut bien que quelqu'un comprenne un jour ces hommes qui dorment sur les bancs du métro, enroulés autour d'une bouteille, seuls d'un malheur sans art, du vomi à leurs pieds, ou ces folles qui marmonnent dans la rue et n'arrêtent personne car elles ne s'adressent à personne.» Un homme et une femme vivent une passion singulière, aussi ritualisée qu'extrême. Le récit d'une emprise et de sa subversion.