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Grasset
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"J'ai pus de corps, c'est les os qui me tiennent debout, et mon grand os, ma trique. Je veux pus qu'on m'appelle Marceline, ni autrement. Je veux pus qu'on m'appelle." Ce roman intense de Béatrix Beck s'ouvre par l'évocation d'une vieille dame indigne. Elle vit seule à la campagne, avec ses os qui grincent et la compagnie du bois mort, marchant vers l'avenir tout tracé à raison d'un litre de rouge par jour, jusqu'au moment où elle rencontre dans la forêt un certain Yann Rosengold... L'étudiant s'occupe d'elle, malgré ses plaisanteries acides et son esprit revêche. Puis, c'est naturel, elle meurt. Nous suivons alors la vie amoureuse de Yann, une élève séduite, un mariage, une progéniture turbulente, des jeux d'enfants et la mort de sa femme... Béatrix Beck nous donne ici un roman émouvant et tragique.
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C'est une résidence pour personnages âgées. Elle est ici, elle pourrait être là, ou encore ailleurs. C'est cet endroit universel où nous parquons nos vieillards.
En l'espèce, nos vieillardes. Elles se nomment Madame Prunier, Madame Spinette, Madame Pincemin, Madame Simonart... Elles forment le petit peuple inquiet, mordant, radoteur, jaloux, égaré, arthritique et parfois un peu toqué de la résidence des Pâquerettes.
Dans une série de vignettes sarcastiques ou touchantes, mais toujours brillantes, Corinne Hoex raconte les épiques aventures minuscules des reines de ce bal où nous finissons tous par être invités un jour.
Dans la lignée d'une Béatrix Beck, roman pimenté, piquant, pirouettant. -
Est-on propriétaire du souvenir d'un être aimé ? Après le décès de sa mère, Sarah Kaliski, Vincent décide d'écrire un roman à son sujet quand il découvre avec stupeur que sa femme, actrice comme lui, termine un scénario dont Sarah est l'héroïne. Pour Vincent, nul autre que lui n'a droit à la parole sur sa mère, peintre de talent injustement méconnue, personnalité intense et borderline, avec laquelle il entretenait une relation passionnelle. Ulcéré, il tente en vain de faire renoncer sa compagne, qui devient dès lors son « ennemie » sur le champ de bataille de leur vie professionnelle comme sur celui de l'intimité. Entre eux, leur fils Samuel, que son père paranoïaque, retranché au fond de l'appartement, soupçonne de prendre le parti de sa mère - de même que leurs amis et sa psy.
Alors que Vincent commence à percevoir des signes de sa mère et cherche à observer des phénomènes paranormaux, sa femme propose de jouer Sarah à une star ... en laquelle Vincent croit reconnaître Catherine Deneuve. Il va tout mettre en oeuvre pour faire capoter le film, sans autre succès que d'être mis à la porte de chez lui. L'actrice star le recueille, devenant une étonnante figure maternelle de substitution...
Autofiction déjantée ou pure fiction basée sur une relation mère-fils exceptionnelle, Ma femme écrit plonge son lecteur dans la spirale paranoïaque incontrôlable où s'engouffre Vincent, incapable de surmonter la disparition de celle qu'il a tant aimé. Drolatique et poignant, un roman totalement original, implacable loi de Murphy dans laquelle le narrateur, têtu, parano, attachant, s'enferre dans sa folie et détruit peu à peu tout ce qu'il a construit.
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Il y a des choses que l'on écrit parce qu'on n'a pas pu les dire. Nora envoie une longue lettre à son père, qui vit dans une autre ville. Cette ville, elle l'a quittée pour apprendre le chant à Bruxelles. Mais aussi pour autre chose. « Ma vie n'est pas exactement comme je te l'ai racontée. » L'enfant que connaît ce père était un « il ». Il se prénommait Raphaël. Tout ce que le père ignore, le voici, depuis l'enfance, la mort de la mère. Les déguisements que portait le petit garçon. Les princesses qu'il dessinait. Les brutalités subies dans la cour du collège. Les mensonges. La douleur. Et puis, un jour, une lumière : le chant. Et le départ. Et ce que Nora est devenue, sa nouvelle vie. Voici un sens inédit ajouté au « Je est un autre » de Rimbaud.
Loin d'être une lettre d'amertume, de vengeance ou de règlement de comptes, la lettre de Nora est une lettre d'amour. Lettre d'amour à un père, dans l'espoir qu'il comprendra. Lettre pour s'aimer soi-même, aussi, enfin.
Un roman bouleversant, et d'autant plus qu'il évite les excès de la plainte comme de la caricature, sur l'identité, mais aussi sur le passage à l'âge adulte, le perfectionnement d'un art, le renouement avec l'acte d'aimer. -
Contactée pour animer des ateliers d'écriture en milieu psychiatrique, Nathalie Skowronek, qui n'en a jamais dispensé, se demande bien ce qu'elle pourrait apporter à des gens atteints de troubles psychiques. Pourtant, sans en comprendre les raisons, elle accepte. Autour de la table, entre exercices d'écriture et confidences lâchées avec une sincérité qui la désarme, elle découvre une humanité en souffrance, digne, sans fard, sans complaisance sur son état de perte, prompte à rire d'elle-même. Elle y reconnaît cette éternelle difficulté de vivre qui attend consolation et reconnaissance. De quoi se poser la question : et elle, où en est-elle dans sa vie, qu'en attend-elle ?
Au fil des séances, de plus en plus confuse et vulnérable, elle voit la distance s'amenuiser entre les participants et elle. Basile qui fuit l'atelier car il lui cause trop d'hallucinations, Pierrot qui déconstruit les phrases des uns et des autres par des jeux de mots vertigineux, Lina, la fine mouche, qui se demande si leur animatrice va aussi bien qu'elle le dit. Sans nier le gouffre de souffrance qui les sépare, elle lit ses angoisses dans le regard de ceux à qui elle est censée apporter son soutien. Le vrai et le faux, l'art et la vie, le contrôle et le lâcher-prise, le dedans et le dehors, tout s'entremêle dans ce chemin qu'elle parcourt avec ses compagnons de détresse, où l'on croise aussi Virginia Woolf, Ionesco, Prévert, Stevenson. Jusqu'à avoir le sentiment de basculer de l'autre côté du miroir. C'est un nouveau monde qui se dévoile alors, où les faux-semblants, les conventions sociales, les zones de confort s'évanouissent.
Dans ce remarquable récit, aussi puissant que ses personnages sont fragiles, émouvant mais dépourvu de pathos, Nathalie Skowronek nous fait remettre en question une certaine idée de la normalité. -
L'épouvante ; l'émerveillement
Béatrix Beck
- Grasset
- Les Cahiers Rouges
- 9 Novembre 2022
- 9782246831068
Paru pour la première fois en 1977, L'épouvante l'émerveillement est le récit à la première personne des débuts dans la vie d'une jeune fille, Pamela, de sa naissance à l'âge de treize ans. L'originalité de ce roman du langage tient d'abord à sa performance littéraire : elle consiste à adapter le parler de Pamela suivant les époques. Plus l'héroïne grandit, plus son champ lexical s'enrichit. Immergé dans la conscience de Pamela, le lecteur découvre les raisonnements sommaires d'un nourrisson fasciné par son propre corps. Les mois passent, le bébé devient un enfant et commence à prononcer des phrases rudimentaires, à s'entretenir maladroitement avec sa mère et sa grand-mère auprès de qui elle grandit. Les années passent. Pamela va à l'école, apprend à connaître les autres ; elle se demande ce que signifient l'amitié, l'amour, l'homosexualité, l'hétérosexualité. Le soir, elle discute avec ses peluches, leur raconte sa journée, leur confiant ses peines et ses craintes.
En se mettant dans la peau de son protagoniste, Béatrix Beck imagine avec génie l'émerveillement d'un être face à un monde inconnu, aussi inquiétant qu'enthousiasmant. L'épouvante l'émerveillement est encore et surtout une réflexion originale sur l'enfance. Pamela n'est pas une enfant stéréotypée. Elle perçoit la perversité des adultes, les manipule ou essaye de les manipuler, ne tient pas ce qu'ils disent pour la vérité. Alors que sa vie commence à peine, elle est fascinée, obsédée puis terrifiée par la mort. Ses craintes, ses élans, ses joies, ses peines sont les mêmes que ceux des grandes personnes. Et si le monde des enfants était plus sérieux que celui des adultes ? -
Si les dieux incendiaient le monde
Emmanuelle Dourson
- Grasset
- Litterature Francaise
- 13 Janvier 2021
- 9782246823643
Une famille déchirée que le destin va rassembler lors d'une extraordinaire soirée.
Il y a Jean, le père ; Clélia, sa fille aînée ; Albane, la cadette que personne n'a revue depuis que sa soeur lui a volé l'homme qu'elle aimait, quinze ans plus tôt ; Yvan, que Clélia a épousé depuis. Et Katia, leur fille, qui de cette tante disparue sait ceci : elle vit à New York, est devenue une célèbre pianiste, son souvenir hante encore ses parents. Leurs vies basculent le jour où Jean apprend qu'Albane doit donner un concert à Barcelone et décide de s'y rendre. Chacun, à sa manière, devra y assister.
Magistral, ce premier roman est une prouesse littéraire, une épopée où d'une voix, celle de l'énigmatique narratrice, le destin d'une famille est retracé avant d'être à nouveau chamboulé. Y gronde la rumeur de notre monde incendié, appelé lui aussi à se retrouver pour survivre.
Magistral, ce premier roman est un coup de tonnerre littéraire, une épopée où d'une seule voix, le destin d'une famille est retracé avant d'être à nouveau bouleversé, et dans lequel on entend résonner, en creux, la rumeur de notre humanité hantée par la fin du monde, déchirée, appelée à se réunir pour survivre.
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Et si l'on abordait le monde qui nous entoure à travers les sons qu'on en perçoit ? Préparez-vous à travailler votre imagination et votre diction avec cet album king size qui fourmille de détails et d'humour. Les endroits du quotidien, la piscine, les toilettes, la rue, nous parlent en onomatopées pour le plus grand plaisir de la fantaisie. Une autre façon d'appréhender et d'écouter le quotidien, et la promesse de belles lectures partagées à voix haute ! et ensuite... à vous de jouer en ouvrant grand vos oreilles et en laissant cavaler votre inventivité !
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Salomé, treize ans, aime chatter avec ses copains et ses copines. Avec Florine, sa meilleure amie, avec Saïd et Philippe, elle peut passer des heures à discuter de tout et de rien. Pour Salomé, Internet, c'est la vie réelle, la porte ouverte sur le monde et sur les autres qu'elle ne pourrait pas rencontrer autrement. Elle fait ainsi la connaissance de Michaël, seize ans, beau et bronzé, vivant à Tours, à quelques heures de chez elle en Bretagne. Ils apprennent à se connaître sans se rencontrer, à se dévoiler... Elle aime aussi chatter avec Coralie, fragile, solitaire. Coralie qui lui avoue qu'elle ne pourrait pas vivre sans ces échanges, Coralie qui lui demande de la rencontrer. Mais elle ira de surprise en surprise et découvrira que ceux avec qui elle chatte ne sont pas toujours ceux qu'elle croit...
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Comme on sait, jamais femme n'a été homme et jamais homme, femme. Cette Aline Berger, assise à une terrasse de café gare du Nord, comme elle aimerait se loger, esprit et corps, dans la personne, esprit et corps, de ce garçon blond qui, en face d'elle, vient de commander une bière ! En attendant, elle lit Orlando de Virginia Woolf. Ah ! s'incarner en l'autre ! Ah, Je est un autre ! Ah, changer de monde en faisant trois pas, jusqu'à la table du voisin ! Elle le fait, elle réussit. Jadis, la mère d'Aline avait voulu tuer, dans sa fille, un possible garçon. Tout se passe comme si ce garçon, caché en Aline, venait de s'évader et se préparait à s'accorder tout ce qu'une femme raisonnable et heureuse en ménage se refuse... Voici donc Aline Berger qui s'est coupée, une partie d'elle devenue homme, l'autre partie restée femme. Elle se dédouble, se donne, se reprend, se regarde lire {Orlando}. Femme devenue homme en restant femme, elle avoue : Il est certain que j'ai toujours plus aimé les hommes que je n'osais me l'avouer et je frissonne d'avoir celui-ci à ma disposition... Qui parle ? La part masculine ou la part féminine d'Aline Berger ?
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Le Trésor des humbles, paru en 1896, marque la fin de la période héroïque du symbolisme, dix ans après le « Manifeste » de la nouvelle école ; c'est l'année de la mort de Verlaine. Cette année marque aussi une rupture dans l'oeuvre de Maeterlinck. Après le radicalisme de ses premiers drames qu'il qualifiait de « théâtre statique », il abandonne l'avant-garde et se consacre à une oeuvre plus accessible. Ce n'est plus le poète décadent de Serres chaudes (1889) ni le dramaturge de l'inquiétude et de la mort qui provoquait la sortie en pleine représentation d'un public terrifié, mais un mystique sans religion, un dilettante de l'occulte qui s'essaie à un genre, l'essai, où il peut manier les idées que le théâtre et la poésie lui avaient jusqu'ici défendues. Ces grands sujets, Maeterlinck les aborde en écrivain. S'il parle des religions, c'est pour montrer qu'elles tendent toutes vers un même but. S'il parle de philosophie, c'est pour la ramener à quelques principes fondamentaux. Il est hanté par la suggestion, le non-dit, l'occulte. Maeterlinck est belge, et, toute sa vie, il a entretenu des rapports tendus avec la culture et la langue françaises. Né à Gand en 1862, il entame une carrière de juriste, plaidant en français (à l'époque, langue officielle du système légal) pour les Flamands qui ne le parlaient pas. Très tôt, il commence à écrire des contes et des poèmes où il essaie de fusionner la saveur flamande et la langue française. Dans son essai sur Novalis, il cherche à faire valoir quelque chose d'étranger à la pensée française : la tradition « germanique ». Ce n'est pas une tradition de clarté intellectuelle, de logique, et elle ne s'exprime pas en un langage limpide et transparent. Maeterlinck souhaite même aller à rebours du « génie de la langue française », et dans son essai sur Ruysbroeck il glorifie les outrances verbales du flamand, ses pensées fiévreuses, sa « syntaxe tétanique ». Ce que Maeterlinck prise surtout chez ses auteurs préférés, comme encore Shakespeare, c'est ce qu'on pourrait nommer leur obscurité lumineuse. Pourtant, sa prose est régulière, classique, équilibrée. Paul Léautaud disait qu'il était le seul des symbolistes belges à savoir bien écrire en français. C'est même tout simplement, un grand écrivain.
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« Dans le train, il colla sa tête contre la vitre et aperçut en surimpression, flottant au milieu d'un décor de brousailles, un visage blême et crispé, le sien, avec son front reconnaissable, haut et dégarni, ses paupières gonflées et sa bouche aux lèvres minces. Il eut envie de se dire à lui-même : "Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?" Ce visage si près du sien lui inspirait une profonde sympathie. »
Nuit après nuit, un homme très perturbé se protège en évoquant son passé - tant de voyages, tant de rencontres amoureuses qui restent obsédantes. Sa mémoire lui donne le vertige. Ses souvenirs l'aideront-ils à aller mieux ? Il s'invente une série de doubles qui mènent une vie sentimentale tout aussi agitée que la sienne. Il voudrait aller rendre visite à sa mère. Elle vit seule en Provence et aura bientôt quatre-vingt-dix ans. Il a d'abord un travail à finir. Sa mère lui déclare : « Au lieu d'envoyer des fax à ta dizaine d'amoureuses, tu devrais publier un livre, sinon les gens vont croire que tu es mort. »
Mieux que personne, François Weyergans mêle la profondeur et l'humour, l'émotion et le rire, dans ce roman qui affirme avec force les pouvoirs de la littérature. -
On connaît Cézanne le peintre, fondateur d'une modernité esthétique qui a profondément marqué le XXe siècle. On connaît moins l'épistolier, qui n'est pas moins important.
De 1858 à sa mort, en 1906, il n'a cessé d'écrire des lettres. Intimes, amicales, intellectuelles, elles sont essentielles pour comprendre l'homme, avec son impétuosité, ses souffrances et sa générosité. Particulièrement émouvantes sont celles qu'il adresse à son plus vieil ami, Emile Zola. (Les réponses de Zola sont comprises dans le volume). On rencontrera un artiste qui réfléchit sur son art : qu'il s'adresse à Pissarro (avec affection) ou au surintendant des Beaux-Arts (avec violence), c'est toujours pour la plus grande gloire de la peinture. Un livre essentiel, qui comprend l'intégralité des lettres du peintre. -
Agnès Varda, Louis Malle, Jean-Luc Godard, François Truffaut, Claude Chabrol, Eric Rohmer...
Ils sont tous là, les réalisateurs, scénaristes, acteurs, producteurs, personnes réelles devenus personnages du roman de Patrick Roegiers : le plus beau casting imaginable, mis en scène par l'auteur dans ce « cinéroman » virtuose qui estompe avec malice les frontières entre le réel et l'imaginaire, l'écriture et l'écran, les mots et les images.
A travers une bonne quinzaine de films dont l'auteur dévoile ici les coulisses, on découvre les conceptions du cinéma qu'ils défendent et les partis pris esthétiques qu'ils incarnent. A chacun son monde.
La Nouvelle Vague a eu ses exégètes et ses laudateurs (autant que ses détracteurs), mais elle attendait son grand « filmroman ». Le voici. On n'a jamais rien écrit de plus passionné, enlevé, inventif, savant et ludique sur la Nouvelle Vague et sa vaste mouvance des années 1960, 1970 et 1980 : on rit, on s'attendrit, on s'étonne, on applaudit à ce tour de force.
De Rivette à Pialat, Sautet et Resnais (on déborde ici le lit de la Nouvelle Vague proprement dit), des Cahiers du cinéma à l'orée des années 2000, c'est toute une époque qui ressurgit avec des figures que l'on croyait familières mais que l'on regarde sous un jour nouveau.
« On connait la chanson », direz-vous ? Eh bien non, on ne la connait pas : jamais plus vous ne verrez du même oeil Jean Seberg ou Brigitte Bardot, Belmondo et Gabin, Maurice Ronet, Michel Bouquet et Stéphane Audran, Jean-Pierre Léaud ou Delphine Seyrig, Michel Piccoli ou Michael Lonsdale, Romy Schneider, Sami Frey, Yves Montand, André Dussollier, Jean-Pierre Bacri... -
« Des marchés où s'était épuisée notre arrière-grand-mère aux magasins de prêt-à-porter montés par nos parents, tout nous ramenait aux tailleurs juifs des shtetls de Pologne.
Quatre générations plus tard, on ne se fournissait plus dans le Sentier, à Paris, mais chez d'invisibles intermédiaires qui ramenaient la marchandise du Bangladesh, du Pakistan ou de Chine. Qu'importait la provenance des pièces, qui les avaient confectionnés et comment, nous devions reconnaître parmi les vêtements entassés les articles susceptibles de plaire. Il fallait être rapide, choisir juste. Nous prenaient de cours ces nouvelles enseignes qui ouvraient dans toute l'Europe. Le shmattès yiddish allait bientôt disparaître. » N. S.
Au coeur de l'histoire familiale de la narratrice, le vêtement : d'un côté le magasin de son inconsolable grand-mère, peuplé des fantômes de la Shoah, de l'autre les flamboyants qui, tournant le dos à la tragédie, jouent le jeu de leur époque avant d'être dépassés par le succès. Entre eux, une jeune femme veut exister sans renier ses origines et les évoque avec une acuité sensible. La fin d'un monde, et peut-être la vraie fin du Yiddishland. -
Jacqueline Harpman est psychanalyste. Elle vit à Bruxelles. Elle est l'auteur d'une dizaine de romans et a obtenu le prix Médicis ex-aequo, en 1996, pour Orlanda.
L'histoire se situe au début d'un dix-septième siècle imaginaire, entre Maria Conception, infante d'Espagne et reine de France, et Girolamo, le narrateur.
Girolamo a huit ans lorsqu'il arrive à la cour d'Espagne, rescapé d'un bateau d'esclaves, offert au roi Carlos. Il a été castré, et, gravement malade, il ne survivra que par amour pour la petite princesse qui s'éprend de lui et le soigne.
Maria Conception a été élevée par un père ambitieux qui souhaite ardemment que sa fille accède au pouvoir. A quinze ans, formée par les meilleurs professeurs dans toutes les disciplines, elle devient l'épouse d'Edouard, roi de France et arrive à la Cour, bien décidée à conquérir le pouvoir dont son père lui a donné le goût. Elle y parviendra, à force d'audace et d'intelligence, soutenue par Girolamo qui ne la quitte jamais. Nous la verrons s'initier aux finances d'un royaume à demi ruiné par les guerres de religions, sauver une femme en couches, affranchir et anoblir Girolamo, soutenir une guerre de ses deniers et, le moment venu, elle fera abroger la loi salique pour devenir la reine aux deux couronnes - France et Espagne -, tout cela dans un foisonnement de personnages et d'événements.
Maria ne tient aucun compte des restrictions que les usages lui imposent : instruite, elle se sert de son savoir pour atteindre ses objectifs dont le premier est d'unifier une Europe déchirée par les guerres. En parallèle à ce récit galopant, un autre récit se déroule, celui de l'amour absolu mais impossible qui unit la reine et son esclave. Ces deux amants qui ne seront jamais amants trouvent une place pour leur passion forcément chaste. Au coeur des nuits, ils dorment enlacés, dans un mélange déchirant de bonheur et de désespoir, corps qui s'étreignent sans pouvoir se prendre. Girolamo soutient tous les projets de Maria Conception et l'accompagnera jusqu'au bout pour mourir à ses côtés et entrer avec elle dans la longue dormition des amants. -
Les Duchemin s'entassent dans une baraque, entre le cimetière et la décharge publique. Noémi rédige ses souvenirs à la demande de son institutrice. Adolescente sensible, surdouée, son style est capable de transformer en féerie la réalité sordide. Elle a l'espièglerie ravageuse de la Zazie de Queneau.
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Un passionnant récit autobiographique de Suzanne Lilar qui revient sur son enfance au sein de la bourgeoisie gantoise.
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Yamissi, arrachée à sa famille en Centrafrique pour être vendue comme esclave, est achetée à Cuba par Ephraïm Sodorowski, un marchand juif polonais. Un amour improbable naît entre ces deux êtres. Il se prolongera par la rencontre à Dantzig, quarante ans plus tard, de leur fille Josefa avec Samuel Wotchek, un anarchiste juif en quête de pureté.
L'odyssée de ces personnages, liés par leurs tragédies, s'adosse à la grande Histoire sur trois continents et cinq générations, de 1860 à nos jours.
Ce grand roman unit dans un ample mouvement la traite négrière et la Shoah, double expérience de l'horreur qui a façonné les héros sans qu'ils renoncent jamais à leur quête de liberté.
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Une veuve, professeur en retraite vivant à la campagne, recueille une petite chatte qu'elle considère bientôt comme sa fille. Or voici que cette chatte se met à parler : elle prononce quelques mots, puis des petites phrases. Un jour, elle veut aller à l'école. L'institutrice consent à la recevoir, mais ne peut la garder parce que sa présence trouble la classe. Mais la chatte tombe malade. Heureusement, un amoureux survient qui lui rendra la santé et lui fera des petits, doués eux aussi de la parole...
Personne aujourd'hui n'a un style plus riche et plus précis que Béatrix Beck. Elle a l'invention d'un Marcel Aymé et la concision d'un Jules Renard. En une succession de petites scènes où se marient le réalisme et le merveilleux, la poésie et l'humour, tout un petit monde est peint ici, en vives couleurs.
L'Enfant-chat a obtenu le Prix Trente Millions d'amis. -
Approchant de la soixantaine, Antoine, directeur de presse, se rapproche de son père, veuf immigré de Sardaigne voici bien longtemps, analphabète, acariâtre et rugueux. Le vieillard accepte le retour du fils à une condition : qu'il lui apprenne à lire. Désorienté, Antoine se sert du plus inattendu des intermédiaires : un jeune prostitué aussitôt bombardé professeur. S'institue entre ces hommes la plus étonnante des relations. Il y aura des cris, il y aura des joies, il y aura un voyage.
Le père, le fils, le prostitué. Un triangle sentimental qu'on n'avait jamais montré, tout de rage, de tendresse et d'humour. Un livre pour apprendre à se lire.
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Suicide, assassinat, mort accidentelle ? Les circonstances de la mort de Véronique Verbruggen sur un sentier des Cévennes n'auraient pas valu plus de quelques lignes dans la presse si la victime n'avait pas été une éditrice reconnue. Deux hommes s'interrogent et partagent un même chagrin : Daniel Meyer, son mari, ophtalmologue, et Titus Séguier, son amant, cinéaste qui jusqu'au bout aura attendu qu'elle vienne partager sa vie.
Pour Daniel, rien n'est jamais venu troubler les vingt ans de vie commune avec sa femme, qu'il aime indéfectiblement. Quant à Titus, dépossédé de son amour, il hésite entre se taire par respect des convenances ou élever à Véronique un « testament amoureux » cinématographique, en poursuivant le projet entamé avec elle avant sa disparition.
Il y a aussi Mina, la fille de Véronique, vingt et un ans, née d'un premier amour. Trop de sous-entendus, d'indices qui ne trouvent pas leur place dans le puzzle familial... Qui était cette mère dont les tourments se lisaient en filigrane ? Demander des éclaircissements à son beau-père serait si douloureux pour Daniel... Alors Mina remonte la trace de Titus Séguier. Elle découvre la complexité d'une mère écartelée, celle des sentiments, et comprend qu'on ne connait jamais tout à fait cet autre qui nous semblait si proche.
Derrière le vernis des apparences, le portrait bouleversant d'une femme qui ne pouvait pas choisir. Nathalie Skowronek dit avec une grande subtilité les différentes facettes de l'amour et comment si les époques changent, les écartèlements du coeur demeurent. -
Il s'agirait d'un combattant mais qu'on aurait mis pour un temps hors de combat. De lui on dirait seulement ce que l'on ne dit pas d'ordinaire de ce genre d'homme. On ne le dissoudrait pas dans l'épopée. On ne dirait pas ce qui le dépasse : on n'aurait d'égard que pour ce qui est à sa hauteur. Comme un récit feutré sur quelqu'un qui crie ! Ce roman relate un exil. Celui d'un Chilien, en 1977, à Bruxelles. Mais ce pourrait être celui d'un Tchèque, à Paris, quelques années auparavant. L'Histoire ne s'acharne-t-elle pas à déplacer les personnes ?C'est l'été. Pour l'instant, personne ne peut rien pour Jaime Morales. Il est sur la touche. Réduit à sa plus simple expression. Malade. Sans travail. Sans compagne. Il considère la Belgique avec un regard d'ethnologue. Un présent trop vide succède à un passé trop plein, que la mémoire ravive...De ce qu'il y a de pire au monde - la torture, l'assassinat politique, la solitude - le narrateur nous entretient à voix retenue. De ce qu'il y a de plus grave - l'amour, la révolution - il ne nous révèle que la quotidienneté. Même l'espoir, qui baigne les dernières pages, ne fait pas plus de bruit que le malheur qui précède.Peut-être Jaime Morales n'est-il que le comble de nous-même ?
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Voici le bouleversant récit à deux mains de la mort d'un enfant par son père et sa mère.
Le 4 novembre 2016, Victor, âgé de treize ans, fait une violente chute de dix mètres. Apprenant la nouvelle, ses parents se précipitent sur les lieux de l'accident. Redoublant la tragédie, sa mère, médecin, assiste impuissante à ses derniers instants. Victor ne survit pas. Ce tragique événement a marqué à jamais chacun des membres de cette famille, car Victor avait un frère et trois soeurs. Comment vivre avec à l'esprit, avec au coeur, ce drame inexprimable qu'est la mort d'un enfant.
Son père et sa mère décrivent dans des chapitres alternés les sentiments successifs et parfois mêlés de désespoir, de rage, de désemparement, d'absurde. Dans ce lent travail de deuil de plusieurs mois, les plus infimes détails viennent réveiller la douleur, comme quand, allant un jour au cinéma, Patricia et Francis voient un siège vide à côté d'eux : le siège qu'aurait dû occuper Victor. Dans leur tentative passionnée de dire l'indicible, l'un et l'autre expriment à leur enfant perdu, au plus près de ce qu'ils ont ressenti, l'amour inconditionnel qu'ils lui portent, la colère qui les possède, l'impuissance face à l'impitoyable vie qui continue, le déni parfois, mais surtout et d'abord, le manque, le terrible manque, qui, deuil ou non ne cesse jamais. Si ce livre est un chant d'impuissance, il est aussi celui de l'espoir : dans chaque mot, dans chaque frisson provoqué par les phrases et leur déchirante vérité, la présence de Victor demeure, palpable, vivante, et qui donc finit par redonner à Patricia et Francis l'envie de vivre, pour eux, pour lui.