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Impressions Nouvelles
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Chardin et le lievre
Sandrine Willems
- Impressions Nouvelles
- Les Petits Dieux
- 1 Mai 2006
- 9782874490149
" Devant ce petit corps presqu'encore chaud, et frémissant, j'eus l'impression d'avoir tué, une seconde fois, le lapin de mes six ans. Il fallait maintenant tenter de me racheter. Le reste de ma vie, je le consacrerais à peindre des lapins. Des lapins morts, Monsieur le métaphysicien, à qui votre métaphysique retire jusqu'à l'âme, pour ne leur laisser qu'une charogne. Or les peintres animaliers veulent bien représenter des lièvres, mais s'ils gambadent, s'ils remplissent les coins de verdure dont on ne sait que faire, et répandent à la Cour un parfum de nature. Mais les autres, les morts, qu'on les mange, et qu'on n'en parle plus. A moins qu'on ne les présente sur un plateau d'argent, des airelles sur la tête et du persil dans les oreilles, comme s'ils frétillaient du plaisir d'être, là, et d'exciter l'appétit de ces mangeurs étranges, qui se nourrissent de tableaux. "
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Artémis et le cerf
Willems/Sandrine
- Impressions Nouvelles
- Les Petits Dieux
- 12 Février 2002
- 9782906131408
J'ai une excuse, pourtant, à mon aveuglement.
La dernière fois que je t'ai vu, tes ramures n'avaient pas encore poussé. Elles ont aujourd'hui six cors, faut-il croire que tant d'années soient passées. Et que soit revenu le printemps, qu'on ne pourra pas vivre ensemble. Les dieux sont imprécis à mesurer le temps ; je sais cependant qu'à chaque hiver vos cornes tombent, comme des branches mortes, mais si grandes qu'on dirait un tronc qui craque, un arbre qui s'écroule, et puis ça repousse, chaque fois plus grand, comme un bourgeon qui n'en finirait pas de grossir, et ne voudrait pas devenir fleur.
Tes bois ressemblaient trop à une renaissance, tu vois, je m'y suis trompée, j'ai cru que toi aussi, tu étais immortel.
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Abraham et l’agneau
Sandrine Willems
- Impressions Nouvelles
- Les Petits Dieux
- 11 Juin 2002
- 9782906131484
Qui aurait résisté ? A la voix du désert, et à son vent brûlant, chargé de sable, qui vient frapper au visage ; et à l'appel de Dieu, qui prenait visage de liberté pour se rire du destin.
J'étais roi, soudain je n'avais plus rien - sinon quelques bêtes, que je mènerais paître au bout du monde. Je redevenais berger, et fier de l'être, comme mes plus lointains ancêtres, du temps où fut créé le monde. De ma prestigieuse famille, je ne voulais plus me rappeler que ceux qui m'avaient devancé un bâton à la main, entre trois chèvres et deux moutons. N'oubliez jamais cela : seuls les moutons me sont restés, à l'heure où je fus foudroyé.
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Nietzsche et les oiseaux
Sandrine Willems
- Impressions Nouvelles
- Les Petits Dieux
- 11 Juin 2002
- 9782906131491
Entre mes armes favorites, je choisis l'ironie, et avant de me retirer, faisant d'emblée des oiseaux mes alliés, j'offris au maître un perroquet.
Celui-ci ne cessait de répéter "Richard, Richard !" à cet homme trop fortuné, et mieux qu'un orchestre lui interprétait la Neuvième Symphonie, comme pour lui signifier que le meilleur de musique appartenait au passé. Wagner, qui n'aspirait qu'à égaler le grand sourd, en écumait de rage ; sa main se mettant à trembler, il n'arrivait même plus à composer - et en était d'autant plus mortifié qu'une telle crise lui venait d'un perroquet, dont Cosima, pour comble, raffolait.
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Franju et le porc
Sandrine Willems
- Impressions Nouvelles
- Les Petits Dieux
- 11 Juin 2002
- 9782906131507
Dès qu'il parut contenir assez de lard, le porc, on lui troua la panse.
Car un cochon, c'est fait pour saigner, tout comme les melons, aux parts bien dessinées par le Bon Dieu, pour être découpés. Et puis ne serait-ce pas indécent de s'émouvoir, en temps de guerre, sur le sang d'une bête ? " Le sang c'est l'âme ", affirmait mon ami Jacob. Eh bien alors j'ai vu de l'âme gicler, asperger les fermiers, ruisseler dans la cour, et me tremper les pieds. N'y avait-il pas, en un bain si spirituel, de quoi devenir un autre homme ? Qui a perçu le cri d'une bête qu'on égorge, et constaté que les plus grandes douleurs, loin de se tenir coites, couinent comme des forcenés, en garde la gorge trop serrée pour encore raisonner.
Désormais, moi je ne pourrais plus que représenter, par des images qui seraient comme des cris. " Que dire après Auschwitz ? ", demandèrent les survivants ; moi, pour perdre la voix, il ne me fallut que la saignée d'un cochon.